1905

Catégorie : Spectacle

Genre : Humour

Année : 2005

Public : Tous Publics

Durée : 1H40

Nation : France

Mise en Scène: Dieudonné M’Bala M’Bala

Interprète : Dieudonné M’Bala M’Bala

Sujet : L’année 2005 marque les cent ans de la laïcité. Après un siècle écoulé depuis la promulgation de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, Dieudonné fait le point et constate que c’est un échec total. Nous sommes au bord d’une guerre de religion et le communautarisme est exacerbé. L’humoriste va donc tenter d’analyser les raisons de la faillite de la laïcité révisant des sujets tels que la religion, les guerres qu’elle engendre, la vie après la mort, le procès de Galilée et surtout le port du voile à l’école. Tout un programme de sujets tabous.   

Analyse critique :

(Attention SPOILERS!)

Continuation de notre cycle Dieudonné avec ce qui est sans conteste l’un de ses meilleurs spectacles et plus haut sommets de carrière : 1905 écrit et mis en scène en 2005.

A cette époque l’artiste est dans une période très difficile. Les polémiques l’entourent depuis son sketch à la télé sur un colon israélien qui lui valu d’être accusé d’antisémitisme. Son spectacle Mes Excuses n’a pas arrangé les choses. Les médias ont réussi à salir l’image de Dieudonné, n’hésitant pas à user de manipulations perverses (j’en renvois à ma chronique de Mes Excuses). Mais cependant, ce gros scandale avait aussi permis à Mes Excuses de faire un buzz incroyable et malgré les annulations de plusieurs représentations, ce fut un succès.

Les médias s’acharnent alors à diaboliser l’artiste encore davantage sans lui donner une tribune pour répondre. Ils en font l’ennemi public numéro 1 (comme il le dit dans ce spectacle « en terme d’impact médiatique j’arrive juste derrière le Tsunami »). Il est banni de la télévision et certaines émissions devant lui donner la parole sont annulées. L’artiste ne peut également plus faire sa promo et n’a même plus l’autorisation de coller une affiche si ce n’est sur le mur du Théâtre de la Main d’or, son fief. Il ne peut compter que sur quelques revues et émissions de radios underground pour avoir la parole. Le but est donc clair : il faut tuer Dieudonné artistiquement et financièrement.

Son image salie, L’humoriste commence donc à sombrer. Et pourtant, cela ne l’arrête pas et il présente un nouveau one-man-show. Il faut dire que depuis 2002 et son spectacle Cocorico !, Dieudo est très prolifique puisque il fait un spectacle par an. Ici, il continue dans cette lancée et joue sur l’actualité de l’année 2005, en l’occurrence les cent ans de la laïcité.

Comme je l’ai dit, l’humoriste jouit désormais d’une tribune moins importante et enregistre donc ce spectacle dans le petit théâtre de la Main d’Or. Cela dit, au Canada, Dieudonné reste populaire et jouit encore d’un certain espace de liberté d’expression. Il enregistrera alors une seconde version (qui est celle du DVD), dans une grande salle de Montréal devant un vaste public. Dans cette seconde version, l’humoriste en profite pour rajouter des piques sur les québécois, s’adaptant ainsi au contexte. Personnellement quitte à choisir je préfère légèrement la version de la Main d’Or (c’est aussi celle que j’ai vu en premier) mais au final les deux se valent et puis malgré quelques différences, ça reste le même show.

Dans cette chronique je me baserai de façon générale sur les deux versions.

Dieudonné revient donc sur les 100 ans de la laïcité qui sont donc célébrés en cette année 2005. Pour l’humoriste le constat est simple c’est un échec total puisque nous sommes au bord d’une guerre de religion et de civilisation. Il revient alors sur les raisons de l’échec, expliquant que pour lui la laïcité partait d’un bon principe mais que les religions et surtout le communautarisme sont trop ancrés en l’être humain.   

Son premier sketch concerne les spectateurs. Ayant reproduit à la va-vite une tribune et une petite scène Dieudonné interprète plusieurs membres du public. Le premier, un jeune d’origine maghrébine fan de l’humoriste et pro-palestinien qui se demande ce que signifie le titre de ce nouveau spectacle « 1905 ». Il y’a d’ailleurs un passage que j’adore, c’est quand le personnage dit « C’est l’année de naissance de Brigitte Bardot » avant de se fendre d’un petit rire stupide. Dieudo sort alors de son personnage et déclare « ça tu vois par exemple c’est autorisé, se foutre de la gueule de Bardot, tu peux y aller, je vais même avoir un Molière avec une blague comme celle là ! Se foutre de la gueule de Bardot si c’est autorisé ? Ah beh c’est subventionné tu peux y'aller ! ». Dieudonné se moque bien de l’humour lâche et facile de beaucoup d’humoristes bobos qu’on voit à la télévision. Le second spectateur est un anti-dieudo venu faire « fermer sa gueule à ce nazillon camerounais » et consterné par « cette horde de primitifs incultes, tous ces islamos-bamboulas, venus applaudir la Haine ». Il nous part alors dans un discours sur des sois-disantes origines martiniquaises d’Hitler et sur le fait que les troupes du troisième Reich étaient majoritairement constituées de noirs.

Les personnages des spectateurs reviendront tout au long du spectacle.

Ensuite on a « Les Coulisses ». Là encore ce sketch est étiré en plusieurs parties sur la durée du spectacle. Dieudonné y évoque ses relations avec son public.

Mais parmi les grands sketchs on aura en premier « la Guerre », où l’humoriste nous offre une caricature bien corsée de l’armée américaine en Irak.

Puis nous avons « le Mourant » où Dieudo incarne un curé chargé de recueillir les dernières déclarations du mourant.

Puis l’artiste interprète ensuite « Galilée » passant en procès devant l’Eglise pour avoir prétendu que la terre était ronde. Après ce sketch hilarant, Dieudonné en profite pour tacler un de ses amis ayant, comme Galilée, fini par baisser son froc. Cet ami, c’est bien sûr Jamel Debouzze auquel l’humoriste renvoie admirablement la balle.

Par la suite, Dieudonné revient également sur son agression par quatre israéliens membres du BETAR alors qu’il se trouvait à la Martinique. « Je m’étais dit, là bas au moins je serais tranquille. Erreur d’appréciation majeure ! » déclare t’il. Là encore c’est superbe car Dieudonné parvient à rire de son passage à tabac par quatre extrémistes juifs sionistes qui seront cependant interpelés et arrêtés par les autorités martiniquaises. 

Puis vient ce qui est sans doute l’un des trois sketchs les plus cultes de l’œuvre de Dieudonné : « Le Conseil de Classe ». En l’occurrence le professeur principal a rassemblé les parents d’élèves suite à la polémique déclenchée par la petite Rachida qui est venu en cours avec le Voile intégral. Le conseil doit donc débattre pour savoir si oui ou non la petite Rachida doit être renvoyée.

Les divers protagonistes s’exprimeront et nous aurons un débat corsé et absolument hilarant entre plusieurs personnages. Monsieur Makhlouf le père de Rachida, un arabe musulman qui affirme avoir tenté de raisonner sa fille sans succès, monsieur Blumenthal un juif qui s’inquiète surtout de la montée de l’antisémitisme dans cette classe de cinquième, madame Cochon qui « au risque d’apparaître marginale et fantaisiste » est blanche et chrétienne « une minorité dans cette classe » et qui s’inquiète de la perte de la culture française et du manque de morale  dans cette école (c’est probablement le meilleur personnage), le père de Mamadou, un noir qui demande à ce que l’esclavage figure dans le programme d’histoire et puis madame Wang une asiatique qui a été victime d’un viol. Bien vite, le prof de mathématiques pète les plombs et constate à juste titre que « tout le monde veut tirer la couverture de son côté ». Ce sketch est un pur chef d’œuvre. Dieudonné se moque ici des problèmes intracommunautaires dans la société. Ce sketch est une synthèse où tout le monde en prend pour son grade. C’est du rire non stop pendant un quart d’heure.

Pour conclure ce spectacle, on a le sketch sur « Jean Louis Rien » qui a crée un nouveau mouvement spirituel vers « rien ». Ce sketch qui n’est pas le plus drôle (bien que marrant) est vraiment bien écrit et au final plein de poésie. Il peut quelque part suivre la logique athée de l’artiste qui colle donc parfaitement au sujet du spectacle : la laïcité. Une très belle conclusion.

1905 est donc un chef d’œuvre d’humour. De l’humour politiquement incorrect, noir, piquant et réellement subversif comme on l’aime. Dieudo, comme à son habitude s’attaque aux sujets les plus sensibles et les plus tabous de la société pour en rire copieusement. Il est assez drôle de voir que même s’il soutient au final l’idée de base de la laïcité, il commence ici à la critiquer pour la première fois. Ce sera important pour la suite de sa carrière.

La mise en scène est très bien foutue et originale, puisque sur scène, sont représentés les gradins, la scène et les coulisses. Dieudonné joue magnifiquement bien avec cette espace et les éclairages. Je trouve d’ailleurs que la mise en scène est plus mise en valeur à la Main d’or que dans la salle de Montréal, même si cette dernière lui permet de mettre plus d’effets.

L’écriture et les dialogues sont parfaits comme toujours. Mieux, ils se bonifient d’un spectacle à l’autre. A l’image du Divorce de Patrick, avec 1905, l’humoriste franchi un nouveau cap dans le talent et son art. 1905 est sans aucun doute la quintessence du second axe de la carrière de Dieudonné.

Pour l’anecdote, c’est également dans ce spectacle qu’apparaîtra son geste fétiche et polémique de « la quenelle ». Ce geste n’apparaît d’ailleurs que dans la version enregistrée à la Main d’or. Dieudonné s’en sert pour mimer le fait qu’un dauphin sait « que sa nageoire il va nous la foutre jusque là ». On est donc bien loin du « salut nazi inversé signifiant la sodomisation des victimes de la Shoah » qui sera décrit par Alain Jakubowicz neuf ans plus tard.

1905 sera donc un succès dans la mesure de ses moyens. En France, il n’aura pas beaucoup d’audition et le peu de médias qui en parleront décriront un spectacle « antisémite ». Cela confirme bien que nous sommes dans la manipulation, puisque les juifs ne sont pas ceux qui en prennent le plus dans le spectacle. Les chrétiens chargent beaucoup plus par exemple. Mais une fois encore tout le monde en prend pour son grade. L’humoriste a parfaitement dosé son spectacle comme d’habitude.

Au Québec, la presse se montrera beaucoup plus objective et sera unanime pour parler d’un show très réussi et intelligent qui constitue l’un des sommets de la carrière de Dieudonné.

Il faut savoir qu’après ce spectacle, des rumeurs coururent concernant une reformation du duo entre Dieudonné et son ancien comparse Elie Semoun, suite à un petit sketch improvisé des deux hommes lors d’une interview. Mais cela ne se fera pas.

1905 est donc une fois encore l’un des meilleurs spectacles de Dieudonné et figure probablement dans son top 3. Une vraie tuerie qui réalise l’exploit de surpasser Le Divorce de Patrick en terme d’humour, d’écriture et de subversion. Un Chef d’œuvre !  Et puisqu’il marque la première apparition de « la quenelle » j’inaugure sur ce blog la « note quenellière »  

Note : 19/20

Note Quenellière : Quenelle de 300