Pardon Judas

Catégorie : Spectacle

Genre : Humour

Année : 2000

Public : Tous Publics

Durée : 1H37

Nation : France

Mise en Scène: Dieudonné M’Bala M’Bala

Interprète : Dieudonné M’Bala M’Bala

Sujet : Après sa Trahison envers Jésus, Judas ne s’est pas pendu. Il est parti errer dans le désert pendant deux millénaires. Le voilà donc revenu pour prêcher la parole du Christ. Le retour de cet être de plus de 2000 ans déchaîne les débats dans les communautés religieuses, scientifiques et gens du quotidien. Tout se termine devant le tribunal où Judas est jugé pour trouble à l’ordre public.    

Analyse critique :

(Attention SPOILERS !)

Sur E-Pôle-Art, nous avons abordé les spectacles d’Elie et Dieudonné de même que le premier one-man-show de ce dernier Tout Seul. Cette série de sketchs constitue le premier axe de la carrière de Dieudonné. A l’époque l’artiste était unanimement reconnu et très apprécié, comme un symbole de l’égalité et de l’antiracisme.

Cependant en 2000, la carrière de Dieudonné prend un nouveau tournant avec son second One-Man-Show Pardon Judas. Ce spectacle marque le début des polémiques pour l’artiste, mais également le commencement du second axe de sa carrière. Un axe où l’humour sera particulièrement subversif.

On se souvient que Dieudonné avait fait un triomphe avec Tout Seul et s’était offert Le Palais des Glaces. Ici, les polémiques entourant ce nouveau spectacle le pousseront à se retrancher dans son fief : Le Théâtre de la Main D’Or qui reste assez petit, mais qui va devenir en quelque sorte son QG.

Pardon Judas raconte donc l’histoire du retour de Judas qui après avoir erré dans le désert pendant 2000 ans revient vers la civilisation. Evidemment son retour fait des étincelles. Dans la communauté religieuse, on découvre que Judas ne se serait pas pendu et aurait même obéit à un ordre du Christ en le trahissant. Dans la communauté scientifique, le fait qu’un homme puisse avoir plus de 2000 ans reviendrait à tout remettre en question. Le personnage de Judas crée donc le chaos et se retrouve justement devant le tribunal pour trouble à l’ordre public à la fin.

Comment se présente alors ce nouveau spectacle. Tout d’abord sur le plan de la mise en scène, Dieudonné se démarque complètement de son précédent one-man-show. Fini, Le Palais des Glaces, les artifices et l’orchestre. On est ici dans le petit Théâtre de la Main d’Or, salle obscure, et il n’y a que les moyens du bord. Et c’est au final dans ce contexte que Dieudo est le meilleur. De plus, cette petite salle lui permet de mieux jouer avec la lumière et l’obscurité. La mise en scène contient donc moins d’artifice que le spectacle précédent, mais elle est encore plus travaillée pour accompagner au mieux les vannes de l’artiste. C’est d’ailleurs Dieudonné lui-même qui met en scène ce nouveau spectacle, et l’artiste dévoile un talent qu’on ne lui connaissait pas. Il parvient même à créer une esthétique très intéressante à travers ses différents costumes de scènes et les jeux de lumières.

Pour ce qui est du déroulement, le spectacle s’ouvre sur le sponsor de la « Ganasphère », référence au sketch du « Grand Gana » dans Elie et Dieudonné. Tout commence avec de nouveaux personnages. Brigitte et Jackie les régisseurs de Dieudonné. Ces derniers reviennent alors sur la polémique qu’a engendré le spectacle et le fait notamment de jouer à la Main D’or. Comme le souligne Brigitte  « En même temps, tu touches pas à la religion ». En effet la religion est un sujet tabou que Dieudonné va aborder de façon intéressante. L’artiste fait alors son apparition et s’interprète lui-même. Le premier sketch concerne donc les coulisses du spectacle. Et c’est assez drôle, on voit notamment Dieudonné s’amuser à salir son image en jouant un artiste prétentieux, mégalomane et arrogant. Une intro qui met l’eau à la bouche.   

Le spectacle démarre ensuite vraiment. On retrouve une structure similaire à Tout Seul, à savoir : tout tourne autour d’un évènement qui sera commenté par plusieurs personnages, tous issus de milieux différents. On aura donc Judas en premier lieu, puis un médecin, un beauf français chrétien, un rebeu racaille musulman, un vieux chrétien ancien collabo et un militant d’origine africaine.

Des personnages vraiment poilants. La structure est donc la même que dans le spectacle précédent. Cela dit, c’est bien l’un des seuls points commun, car Pardon Judas n’a plus rien à voir avec Tout Seul. Premièrement on est dans un humour beaucoup plus piquant et beaucoup plus trash, cet humour qui forgera la réputation de Dieudonné en solo. Alors que le premier spectacle reprenait le même ton qu’Elie et Dieudonné, celui-ci marque la nouveauté. C’est le style de Dieudonné en solo qui naît. On comprend les polémiques qui entourent cette nouvelle pièce. Car ce nouveau style est tranchant mais tellement hilarant.

Ce qui saute aux yeux, c’est que l’humoriste a évolué en trois ans de solitude artistique et qu’il est passé au niveau supérieur. Premièrement l’écriture, faite par Dieudo lui-même. Y’a pas à chier, les dialogues sont croustillants. C’est fluide et très bien foutu et ça vous garanti du fou rire régulier. Il y’a un véritable génie d’écriture. On commence même à trouver quelques expressions qui deviendront cultes comme : « Si t’es pas content, fais toi rembourser le spectacle. Au prorata de ce que t’as vu aussi, évidement ».  

Et que dire de l’acteur Dieudonné. Là encore, son jeu s’est vraiment amélioré, de même que sa galerie de personnage qui s’est agrandie. Ses imitations des diverses classes de la société sont d’ailleurs plus travaillées et plus réussies. C’est un véritable caméléon qui passe d’un personnage à l’autre tout en gardant un côté très personnel à ses prestations. On est vite conquis. Il sait d’ailleurs jauger la caricature juste ce qu’il faut.

Il a également cet humour qu’on sent vraiment naturel chez lui, et certaines répliques sont improvisées avec maestria.

Dieudonné a également un bon sens du timing. Il sait aussi très bien doser son spectacle faisant plus ou moins monter crescendo les situations humoristiques. Tout suit une vraie logique. Il y’a un vrai calcul de la mise en scène. Il y’a mêmes des mimiques intéressantes, dont certaines préfigurent certains futurs gestes fétiches de l’humoriste.

On retiendra aussi les petits rôles tenus par les régisseurs et acteurs Brigitte Tanguy mais surtout Jacky Sigaux, un acteur et auteur de théâtre qui va devenir un personnage culte de l’univers de Dieudonné.

Au final, Pardon Judas est un spectacle beaucoup plus profond qu’il n’y paraît. Ici l’humoriste s’attaque à un sujet sensible et tabou : la religion. On le sait, à cette époque, Dieudonné est profondément athée et très critique à l’égard des religions. On pourrait alors trouver dans Pardon Judas de l’anticléricalisme primaire, mais ce n’est pas le cas. Dieudonné sait s’attaquer au sujet avec finesse.

Puis surtout comme souvent chez l’artiste tout le monde en prend pour son grade : Les chrétiens, les musulmans mais pas que les religieux. La communauté scientifique est aussi visée, les classes sociales françaises (notamment le bof français) et la justice. C’est donc un spectacle très riche et vraiment hilarant.

Pardon Judas se révèle être largement supérieur à Tout Seul. Car ici l’humoriste trouve son style piquant, tranchant et subversif

A sa sortie, Pardon Judas déchaînera donc les polémiques. « La Griffe », une association catholique reconnue comme étant d’extrême droite, l’attaquera en justice pour « christianophobie » et racisme anti-français. L’artiste obtiendra cependant gain de cause.

Malgré les polémiques donc, Pardon Judas sera un grand succès. La plupart des critiques seront élogieuses et les gens se masseront à la Main d’Or pour voir ce spectacle subversif.

Il reste d’ailleurs l’une des plus grandes réussites de l’artiste qui s’en donne à cœur joie. Mais Pardon Judas marque donc aussi le début des polémiques pour le comique.

Concernant ce spectacle, Dieudonné déclara « Moi, Dieudonné, artiste fantaisiste de ce millénaire, je prends la décision d’accorder mon pardon à Judas. » Il ne s’agit là nullement d’une provocation mais plutôt d’un appel au pardon et à la paix. Et on retrouvera ce type de démarche encore dans la carrière de l’artiste. D’ailleurs il baptisera justement l’un de ses fils Judas.

Pardon Judas est donc un one-man-show piquant, drôle et transgressif mais aussi fascinant. C’est un humour intelligent, critique et satirique qui déjà à l’époque impose probablement Dieudonné comme l’humoriste le plus talentueux de sa génération.

Un chef d’œuvre d’humour à voir absolument.

 Note : 17,5/20

Comments

[titi70]

Pardon, je voulais écrire : "je me souviens plus de la soirée sur France 4 en soutien à Guillon quand il a été viré de France Inter." J'ai tapé trop vite.

[titi70]

@ Vince



Oui, je me souviens en effet qu'ils avaient soutenu Dieudonné au départ, mais, ça n'a pas duré longtemps. Elie Sémoun avait également tenté de prendre sa défense avant de se rétracter. Mais, je me souviens plus du soutien de la soirée sur France 4 en soutien à Guillon quand il a été viré de France Inter. Bedos y était et quand Timsit lui a demandé si il avait quelque chose à dire au ministre de l'époque (dont je ne me souvient plus le nom) il s'est contenté de lui faire un beau bras d'honneur, en direct, à la télévision.

[titi70]

Même quand il était avec Elie Sémoun, Dieudonné ne me faisait pas rire. Même avant la polémique, ses spectacles ne m'intéressaient pas et ça n'aurait pas changé de toute façon, je préfère un Guy Bedos ou un Christophe Aléveque, pour ma part.

[Vince12]

à Oliver: Nous aurons l'occasion de reparler de la suite de toute façon et de voir son évolution.

[Alice In Oliver]

Si seulement il avait pu poursuivre dans cette lignée plutôt que de s'égarer comme il le fera par la suite