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29 juin 2015

Accattone

 

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Catégorie : Cinéma

Genre : Drame

Année : 1961

Public : Tous Publics

Durée : 1H51

Nation : Italie

Réalisateur : Pier Paolo Pasolini

Acteurs : Franco Citti, Franca Pasut, Silvana Corsini, Paola Guidi.

Synopsis : Vittorio, dit « Accattone » est un petit maquereau des faubourgs misérables de Rome. Méprisant le travail, il passe son temps en terrasse de café avec ses amis, quand il n’exploite pas de jeunes femmes qu’il pousse à se prostituer. Cependant, après l’arrestation de Magdalena, les affaires d’Accattone vont mal. Il tente de renouer le contact avec son ancienne femme sans succès. Il finit par croiser Stella une jeune fille qui semble être une proie idéale pour le maquereau qu’il est. Mais la jeune fille, dans sa misère, parvient à le toucher.      

 

Analyse critique :

(Attention SPOILERS !)

Aujourd’hui nous entamons sur ce blog un cycle dédié à l’un des plus grands artistes du vingtième siècle et aussi l’un des plus sulfureux, Pier Paolo Pasolini. A l’époque, l’artiste issue d’une famille bourgeoise italienne, s’était déjà fait remarquer en tant qu’auteur de poèmes et de deux romans qui étaient Ragazzi di Vita et Una Vita Violenta. Il avait également été le scénariste du grand Fellini pour Les Nuits de Cabiria.

Jusqu’alors, l’artiste pensait que le cinéma était trop industriel pour vraiment véhiculer des messages par l’art. Mais avec le temps, il finit par changer d’opinion et décida en 1960 de se lancer dans son premier long métrage qui est aussi un premier chef d’œuvre.

Evidemment, tout ne sera pas facile, et c’est grâce à son ami Federico Fellini qu’il va pouvoir rassembler les moyens pour réaliser son film qui est ensuite produit par Alfredo Bini qui après ça produira d’autres œuvres de l’artiste.

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Ce film c’est Accattone, qui suit les traces d’un petit maquereau misérable des faubourgs romains.

Dés cette première réalisation Pasolini se présente comme un formidable créateur. Il impose d’entrée de jeu ce mélange de néo-réalisme et de mythologie. Car oui en quelque sorte les personnages d’Accattone sont mythologiques. On plonge ici dans les pires faubourgs de Rome où règnent la misère.

Ce qui frappe d’entrée dans la réalisation de Pasolini, c’est ce réalisme social de la société italienne auquel il nous confronte. Rarement on a vu autant d’authenticité dans les décors et les acteurs.

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Sa réalisation s’inscrit donc dans la tendance néoréaliste, mais le cinéaste se veut également novateur et utilise parfois des travellings intéressant qui nous révèlent la misère totale de cette partie de Rome. Pasolini a un bon coup d’œil et ça se voit. Pour une première réalisation, il réussit franchement une performance vraiment extraordinaire. Des plans impeccables et très travaillés et des mouvements de caméra très bien gérées.  Mais une fois encore on retiendra surtout l’authenticité de plusieurs scènes, comme le repas autour d’un plat de spaghetti convoité, les beuveries, les virées en voiture. Sa caméra saisit parfaitement l’essence du décor. Pasolini s’attache également au moindre petit détail du quotidien des bas quartiers. On peut parfois penser au Voleur de Bicyclette de De Sica notamment sur le final.

Mais outre le réalisme du quotidien, on en retrouve aussi la cruauté. Comment ne pas évoquer la scène où Magdalena est rossée par trois garçons, une séquence vraiment atroce. On peut aussi parler de ce machisme récurent dans le film, très typique des bas quartiers italiens. Le cinéaste sait donc donner corps à une véritable réalité sociale. Mais il confère également au tout une dimension sacrée, mystique et religieuse. Notamment en prenant pour BO du Bach qui renforce cet aspect.

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Pasolini déclare lui-même : « Dans Accattone, j’ai voulu montrer la dégradation et l’humble condition humaine d’un personnage qui vit dans la boue et la poussière des « borgate » de Rome. Moi je sentais, je savais que dans cette dégradation il y’avait quelque chose de sacré, quelque chose de religieux au sens vague et général du mot, et alors, cet adjectif sacré je l’ai ajouté avec la musique. Bach m’a servi à faire comprendre à un vaste public ce qu’étaient mes intentions ».

Tonino Delli Colli, le célèbre directeur de photographie, raconte d’ailleurs que pour lui donner une idée de ce qu’il voulait faire, Pasolini l’amena voir Le Jeanne D’Arc de Dreyer et Les Feux de la Rampe de Chaplin.

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On retrouve comme souvent chez Pasolini, cet ensemble de choix esthétiques, qui a une fonction symbolique et qui fait partie intégrante du développement. Ici donc, le sacré fait partie intégrante d’Accattone. La musique de Bach (que Pasolini réutilisera justement sur L’Evangile selon Saint Matthieu) souligne alors cette sacralité dans les moments dramatiques. Ainsi un vulgaire pugilat de « borgate » prend une dimension dramatique incroyable. Et c’est là le génie de l’artiste. Là où beaucoup de film réutilisent trop les sons de la culture populaire issue des quartiers pour leurs films, Pasolini veut vraiment faire saisir au spectateur, la sacralité du drame que vivent ces gens en y mettant de la musique classique.     

Il y’a également le monde du rêve qui est exploré de façon magistrale sur une séquence. On peut même dire qu’on est dans un vrai cauchemar, mais montré de façon là encore totalement réaliste et détaillé. Pasolini s’attachant à démonter notre inconscient sous tous ses aspects. La séquence du rêve d’Accattone où il voit sa mort symbolique et très représentative du message du film, comme nous le verrons plus loin.  

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Mais le réalisateur peut aussi s’appuyer sur un casting en or.

Franco Citti crève littéralement dans le rôle d’Accattone. C’est à mes yeux le rôle de sa vie. Son personnage est tellement paradoxal et touchant. A la fois très viril et parfois féminin (c’est notamment sous entendu avec la scène du chapeau), méprisable et misérable. Il y’a tant d’authenticité dans le personnage d’Accattone qu’on finit vraiment par s’attacher à lui. Puis une fois encore, comme le dit le réalisateur, il y’a dans sa misère une vraie dimension sacrée. Ce sacré qui se trouve en réalité dans la fatalité qui plane au dessus du personnage. Franco Citti était d’ailleurs issue des « borgate » et il pousse très loin sa prestation qui est vraiment touchante et impressionante. C’est vraiment la révélation du casting.

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Mais les autres acteurs sont véritablement excellents et surtout, une fois encore très authentique. Eux aussi étaient pour la plupart issus des bas quartiers de Rome, et certaines de leurs histoires personnelles ont inspiré le film.  Tous ces visages de jeunes italiens de quartiers, Pasolini a vraiment su faire les bon choix. Le moindre figurant est bluffant de crédibilité.

Les dialogues sont par ailleurs très bien rédigés. Et là encore Pasolini travaille beaucoup sur la notion de langage qui le passionnait. Chez Pasolini, le langage renvoie immédiatement à l’origine sociale. Et ici il a remarquablement bien retranscrit le langage des « borgate » romaines.  

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Qu’a donc voulu nous dire l’auteur avec ce film ? Pasolini nous renvoie ici aux bas quartiers italiens, aux « borgate » de Rome. Il choisit de raconter l’histoire d’un miséreux qui survit par tous les moyens mais à travers lequel finit par apparaître la beauté. Il confère même à son personnage une dimension christique dans le sens où son chemin ne peut que finir dans la fatalité. Il y’a même un côté martyr à travers Accattone malgré le mal qu’il peut aussi faire autour de lui. Le génie de Pasolini ici, c‘est donc de nous rendre ce personnage touchant et en ce sens Accattone est une totale réussite. On n’oubliera pas le visage d’Accattone écrasé contre le trottoir lâchant ces derniers mots « maintenant je suis bien ».  

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Mais au-delà du personnage d’Accattone on a surtout un portrait de la société italienne comme seul Pasolini sait les faire. Il nous montre notamment les classes sociales issues des borgate avec beaucoup d’amour. Ainsi ce milieu où règnent le vice, la dureté et le machisme le plus rude, n’est pas montré comme négatif par le cinéaste. Il semble au contraire représentatif de valeurs traditionnelles d’une certaine classe sociale, qu’il faut préserver. C’était d’ailleurs l’une des inquiétudes du penseur (et pas seulement du cinéaste) Pasolini, qui craignait que la notion de classe disparaisse avec le capitalisme et qu’on se retrouve avec une population de consommateurs primaires sans âme et ayant perdu toute identité sociale. C’est sans doute de là que lui est venue l’idée du rêve d’Accattone concernant sa mort imaginaire. Accattone meurt symboliquement car il rentre dans la norme en travaillant pour quitter sa classe. Il perd en quelque sorte cette dimension sociale traditionnelle qui le caractérisait en tant qu’individu d’une société. Dés ce premier film, on sent donc déjà cette inquiétude de la perte d’identité sociale et surtout la disparition des classes sociales. Aujourd’hui on peut donc constater qu’Accattone est un film véritablement visionnaire.  

  

9

 

De par son sujet sensible, le film provoquera à l’époque une certaine polémique. Il sera même attaqué en justice par le député Salvatore Pagliuca qui pensait qu’un homonyme dans le film était une référence à lui-même et demanda sa suppression. Pasolini gagnera cependant le procès, le premier d’une longue série dont serait parsemée sa carrière. En réalité un génie cinématographique venait d’éclore. Un cinéma social typiquement italien !

Accattone est tout simplement un chef d’œuvre qui retranscrit déjà bien les obsessions essentielles de son auteur. Une œuvre forte, authentique et dramatique.           

           

    

Note : 18,5/20

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Commentaires
A
à vince: ne t'inquiète pas, le film fait partie de ma longue liste de longs-métrages à découvrir...
V
à Oliver: une fois encore c'est un incontournable.
A
à vince: en tout cas, la chronique donne vraiment envie de le découvrir !
V
à Oliver: à voir absolument c'est pour moi l'un des meilleurs de Pasolini
A
J'avoue ne pas avoir vu ce film de Pasolini, mais je le connais de réputation. Une chronique dithyrambique qui donne envie de découvrir ce chef d'oeuvre visiblement...
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