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20 janvier 2015

Le Cœur des Ténèbres

 

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Catégorie : Littérature

Genre : Nouvelle, Drame

Année : 1899

Nombre de pages : 189

Nation : Royaume Uni

Auteur : Joseph Conrad

Synopsis : Sur un bateau de la Tamise, Charles Marlow un aventurier désillusionné raconte son voyage et son expédition au Congo, alors qu’il travaillait pour une compagnie de commerce d’ivoire belge. Lors de son arrivée sur place, il est chargé de renouer les contacts avec Kurtz, un efficace collecteur d’ivoires, qui ne donne plus aucun signe de vie. Mais plus il s’enfonce dans les profondeurs de l’Afrique, plus il apprend que Kurtz aurait sombré dans la folie. Ce voyage mènera Marlow au fond de lui-même et au Cœur des Ténèbres.      

Analyse critique :

(Attention SPOILERS)

Pas facile de s’attaquer à un monument de la littérature tel que Le Cœur des Ténèbres de Joseph Conrad.

Ce livre est devenu avec le temps, une véritable icône du monde littéraire. Il est assez régulièrement cité dans les tops des meilleurs livres jamais écrits. En effet Le Cœur des Ténèbres écrit en 1899 a considérablement marqué les esprits, tant par son débat que par sa puissance littéraire. Le livre est véritablement métaphysique pour le lecteur attentif et en quête de quelque chose de spécial. Ici Joseph Conrad, dont c’est le troisième livre et le début de carrière, nous propose un vrai trip au plus sombre et au plus profond de l’âme humaine.

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Mais pour comprendre ce qu’est Le Cœur des Ténèbres, il faut d’abord comprendre qui est son auteur. Joseph Conrad est né Józef Teodor Konrad Natecz Korzeniowski dans une ancienne Pologne sous emprise russe, la nation de Conrad. Ses Parents seront déportés dans le Nord et finiront par mourir tous deux. Le jeune Józef est alors confié à son oncle, il a 11 ans.

Sa vocation est d’être marin. Il quitte donc la Pologne et part s’installer à Marseille (d’ailleurs quand il deviendra écrivain plus tard, Conrad avouera regretter ne pas avoir été un écrivain français plutôt que britannique). Après plusieurs années dans la contrebande, il fait une tentative de suicide mais est sauvé par son oncle. Il décide alors de s’engager dans la marine marchande britannique. Allant d’un bateau à l’autre il finit par obtenir les galons pour devenir Capitaine. Il sillonnera les mers du globe pendant près de huit ans. Une riche vie pleine d’expérience qui lui donne déjà l’inspiration d’écrire son premier roman La Folie Almayer.

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Mais son expérience la plus traumatisante, elle a lieue en 1890. Trouver un commandement pour les capitaines de la marine est de plus en plus difficile. C’est pourquoi Conrad saute sur l’offre d’une parente qui lui obtient un emploi dans une Compagnie chargé du commerce au Congo.  A cette époque le Congo est sous la coupe de Léopold II qui laisse toutes les compagnies concessionnaires pénétrer sur le territoire et faire ce que bon leur semblent. La main d’œuvre indigène est particulièrement mal traitée et taxée de façon scandaleuse. A un moment donné, Conrad se voit confier pour mission de remonter un fleuve pour aller chercher un agent de la compagnie qui est tombé gravement malade. Ce dernier mourra à bord du bateau de Conrad.

Le capitaine de marine qu’il était, gardera un goût particulièrement amer de ce voyage. Cependant, entre temps, Conrad se marie et ses premiers romans font succès. Il abandonne sa vie d’aventurier pour trouver un port d’attache. Mais le souvenir du Congo ne cesse de le hanter. L’auteur a besoin de l’exorciser à travers un nouveau livre. Ce nouveau livre c’est Le Cœur des Ténèbres. Il fut rédigé en seulement trois mois, mais on sent que l’auteur y a mis toutes ses tripes.

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Il parut d’abord en plusieurs parties dans le Blackwood’s Magazine. Trois ans plus tard il sera édité en livre.

Ici, Joseph Conrad nous narre l’histoire de Marlow, un marin qui sur un bateau ancré à la Tamise, raconte à ses camardes l’histoire de son voyage au Congo. Marlow, cherchant l’aventure, avait accepté de travailler pour la compagnie du commerce de l’ivoire de Belgique. Une fois au Congo, il avait été chargé d’une mission : renouer le contact avec Kurtz, un collecteur d’ivoires très actif qui ne donnait plus signe de vie depuis longtemps. Marlow dut donc remonter le fleuve pour retrouver Kurtz. Au cours de ce long voyage il apprit que Kurtz était apparemment devenu fou. Mais il a également découvert de nouveaux personnages plus sombres les uns que les autres. Ce voyage qui l’entraina jusqu’au fin fond de l’Afrique Noire, manqua également de le conduire au fin fond de la folie.

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Avec ce récit fascinant, Conrad a bien l’intention de livrer une catharsis de son voyage au Congo Belge. Le Cœur des ténèbres est donc une œuvre très personnelle.

Parmi les influences, Conrad semble quelque peu s’inspirer du chef d’œuvre littéraire de Rudyard Kipling, L’Homme qui voulut être Roi paru en 1888.

Le Cœur des Ténébres, à l’image de son sujet se veut être un livre très sombre mais également métaphysique. Ici, Conrad est bien le Marlow qui raconte l’histoire, et nous lecteurs, sommes ses camarades de bord. Le Cœur des ténèbres est conçu pour entraîner le lecteur dans un véritable trip glauque. A ce propos Conrad déclare lui-même : « Il fallait donner à ce sombre thème une résonnance sinistre, une tonalité particulière, une vibration continue qui, je l’espérais du moins, persisterait dans l’air et demeurerait encore dans l’oreille après que seraient frappés les derniers accords ». Mission réussie ! Quelque part Le Cœur des Ténèbres est l’un des livres les plus métaphysiques et émotionnels que j’ai pu lire. On voit d’ailleurs que Conrad lui-même semble le voir comme une musique, une sorte de symphonie de la folie humaine.

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Par ailleurs on sait que Le Cœur des Ténèbres, a fait beaucoup fantasmer le septième art. Orson Welles a tenté en vain de l’adapter, Coppola en a livré une version transposée à la guerre du Vietnam avec Apocalypse Now. On pourrait même soupçonner Werner Herzog de s’en être quelque peu inspiré pour son Aguirre, La Colère de Dieu (bien qu’il soit avant tout inspiré par la vraie histoire de Lope de Aguirre). Pourquoi cette fascination du cinéma pour le livre de Conrad ? Tout simplement parce que Le Cœur des Ténèbres est un œuvre littéraire très visuelle. Je dirais même déjà cinématographique à son époque. Tout au long du récit, Conrad insiste énormément sur le visuel et sur la luminosité. Les couchers de soleil, le reflet des derniers raillons sur la rivière, le brouillard voilant tout, la lumière du soleil tellement éblouissante que vous vous croyez dans un autre monde. Tous ces détails visuels sont régulièrement décrits par Conrad, ce qui permet au lecteur de capter le moindre halo de son univers. On comprend donc que l’auteur veut faire un livre dont on pourrait presque sentir les odeurs, une œuvre métaphysique et atmosphérique. On constate par ailleurs que le réalisateur Francis Ford Coppola a dû se référer assez fidèlement aux effets visuels décrits par Conrad pour son film Apocalypse Now.

Vous l’aurez compris, avec ce bouquin, Conrad repousse les limites de l’écriture.

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Mais plus que la description visuelle, la description psychologique. Nous sommes dans la tête de Marlow qui nous raconte l’histoire. On entre donc dans la folie du personnage. Conrad nous permet de suivre tout le cheminement psychologique de son héros. Sa perception du monde qui l’entoure, sa philosophie en train  d’évoluer. Cela ne fait que renforcer l’aspect métaphysique du livre. Le lecteur perd ses repères en même temps que Marlow. L’apogée est bien sûr atteinte lors de la destination finale au comptoir de Kurtz où la folie règne.      

Parlons d’ailleurs des personnages du livre. Le premier, Marlow, qui nous raconte l’histoire a quelque part des allures de prophète. Alors qu’il raconte l’histoire sur son bateau ancré dans la tamise, Conrad nous le décrit assis comme un bouddha. Cette description, qui donne déjà à Marlow son côté mystique et prophétique, est assez importante pour la suite. Marlow est un homme qui a voyagé au fin fond de l’Afrique et de lui-même. Toutes les expériences au cours de la remontée du fleuve l’ont de plus en plus amené à la folie et aux ténèbres. Il a atteint le comble en arrivant dans l’antre de Kurtz où il a découvert les sommets de la noirceur de la nature (humaine et sauvage). Marlow aurait alors pu ne jamais revenir des Ténèbres comme Kurtz, mais il s’en est sorti. Et c’est de là que vient l’aspect prophétique conféré au personnage. Il est une sorte de miraculé, celui qui a franchi la limite qui a pénétré dans le monde des ténèbres dont on ne revient jamais mais qui s’en est échappé. Ainsi son retour des contrées inatteignables du Cœur de l’Afrique Noire représente son retour des sommets de la folie et de la barbarie humaine. Marlow a donc bel et bien une dimension mystique.

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Le personnage de Kurtz lui n’a pas eu la résistance de Marlow. Il est devenu comme un démon malade et affaibli qui agit sans but et se livre à la barbarie. Il ne semble plus rien éprouver, ni peur, ni plaisir, rien. Il est définitivement au cœur des ténèbres. Lui aussi pourrait apparaître comme un prophète, mais un prophète Martyr qui est allé jusqu’au bout de la face obscure du monde. Quelque part une sorte de mécène comme Jésus, qui s’est sacrifié pour montrer la voie aux autres humains. Marlow a été sauvé grâce à la figure horrible de Kurtz qui lui a montré où le mènerait le chemin des Ténèbres. La personnalité de Kurtz est fascinante, notamment car tout le long du livre, on en entend parler sans voir le personnage. A chaque rencontre de Marlow on en sait plus sur cet homme, mais certains récit sur lui se contredisent ou paraissent complètement fou. A l’image de Marlow, le lecteur devient obsédé par la rencontre avec Kurtz. La longue attente est donc remarquablement gérée par Conrad.

Quant aux autres personnages, Le Comptable, le Directeur, Le briquetier, tous plus étranges les uns que les autres,  ils ne semblent qu’être des étapes marquées à l’évolution de la folie du narrateur.

Le Cœur des Ténèbres est donc un livre symbolique. Conrad déclare lui-même que son bouquin possède « une richesse symbolique excessive ».  

8,5

Le Cœur des Ténèbres, est bien évidemment une métaphore souvent utilisé. A savoir le voyage physique représentant le voyage effectué à l’intérieur de soi. Ici, Conrad nous décrit le voyage de Marlow au fond de son âme. Ce voyage l’oblige à s’aventurer dans ses parties les plus sombres qui touchent à la folie. C’est donc un livre sur la folie humaine. Folie humaine avec laquelle Marlow flirte en découvrant les horreurs des hommes eux-mêmes atteint de la folie meurtrière. Vous l’aurez compris Conrad dresse un portrait très sombre de la nature humaine. Je ne dirais pas que c‘est un livre nihiliste, car je n’aime pas vraiment ce terme qui me paraît trop facile et utilisé à tort et à travers, car au final Le Cœur des Ténèbres est atteint de ce que j’aime appeler le paradoxe du cri de désespoir.

La nature peu reluisante (et le mot est faible) des humains est ici abordé à travers le colonialisme que Conrad semble dénoncer. Comme je l’ai dit plus haut, l’attitude des compagnies concessionnaires au Congo à cette époque fut scandaleuse et horrible. Dans Le Cœur des Ténèbres, la sauvagerie est cependant autant présente chez les colons que chez les indigènes. Conrad en profite également pour aborder un sujet qui semble le fasciner : le cannibalisme. Cannibalisme qui atteint les tribus du plus profond de l’Afrique Noire et qui atteint aussi Kurtz. Là encore je pense qu’à travers le cannibalisme, l’auteur cherche à véhiculer un symbole, mais de quoi ? Peut être de l’humain consommant l’humain à travers le colonialisme.

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Il est donc difficile d’analyser une œuvre aussi complexe que Le Cœur des Ténèbres et nul doute que ce chef d’œuvre de la littérature contient encore de nombreuses faces cachées.

Le livre de Conrad obtiendra beaucoup de succès et marquera les esprits. Il aura une énorme influence. Ainsi, André Gide s’en inspirera beaucoup pour son livre Voyage au Congo en 1925. Le très génial et très grand auteur français Louis Ferdinand Céline semble s’en être également inspiré pour la partie africaine de son Voyage au Bout de la Nuit (un titre qui peut s’apparenter à celui du livre de Conrad). Mais l’influence du Cœur des Ténèbres ne s’arrête pas à la littérature. J’ai déjà cité des œuvres cinématographiques qui s’en sont grandement inspirés mais il faut aussi savoir que le livre sera adapté pour un feuilleton TV en 1994 avec Tim Roth et John Malkovich et réalisé par Nicolas Roeg. Le jeu vidéo Spec Ops : The Line, sorti en 2012, est même une adaptation moderne du livre de Conrad.    

Vous l’aurez compris, avec Le Cœur des Ténèbres, Joseph Conrad a signé un monument littéraire qui est devenu un livre mythique et important qui traverse les générations.

         

Note : 18,5/20

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Commentaires
V
à Hdef: Non je n'ai ni lu le livre ni vu le film pour tout t'avouer.
H
Ah c'est donc "ce que j'attendais" ! Effectivement «Le Cœur des Ténèbres» fait partie intégrante de mes livres favoris ! C'est aussi le meilleur de Conrad je pense, avec «Lord Jim» (les deux ouvrages se ressemblent d'ailleurs sur plusieurs points).<br /> <br /> A propos du dernier, as-tu vu le film de Richard Brooks qui en est tiré ?
T
* différentes
V
à Tina: Perso c'est pas faute d'avoir essayé.<br /> <br /> Ceci dit je pourrais être tenté pour la relecture de l'Odyssée, puisque je l'ai lu en sixième.
T
A part les livres pour mon mémoire (forcément je suis obligée), je relis rarement les livres. Les deux seuls que j'ai relu (et à trois reprises à chaque fois) sont L'histoire d'Helen Keller et L'Odyssée.
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