Mort à Crédit
Catégorie : Littérature
Genre : Roman, Drame
Année : 1936
Nombre de pages : 616
Nation : France
Auteur : Louis Ferdinand Céline
Synopsis : L’enfance du jeune Ferdinand qui vit à la boutique de ses parents. Peu chanceux dans la vie, il s’attire régulièrement les foudres de ces derniers. L’histoire de ses premiers bouleaux alors qu’il est encore tout jeune, son envoi dans une pension en Angleterre, son retour en France et le drame de sa famille.
Analyse critique :
(Attention SPOILERS !)
Continuation de notre cycle Céline avec le second livre le plus culte de l’auteur, j’ai nommé Mort à Crédit écrit en 1936.
Quatre ans auparavant, Céline s’était fait connaître et avait triomphé avec son roman Voyage au Bout de la Nuit qui avait littéralement changer le paysage littéraire.
Un génie avait éclaté et il était donc logique de le voir persévérer dans cette voie. Bien vite, il décide alors de rédiger un nouveau roman intitulé « Tout Doucement ». Le but étant d’évoquer son enfance de façon romanesque. Immédiatement, il a l’idée de faire suivre ce roman d’un second volet intitulé « Chanson Morte ». Au final, il liera ces deux écrits dans un seul et même ouvrage qu’il baptise : « Mort à Crédit » et qui est donc divisé en deux parties respectives.
Ce nouvel ouvrage s’inscrit dans la droite lignée du premier. Bien que le personnage ne soit pas identifié comme étant Bardamu, il s’appelle lui aussi Ferdinand (qui est également le nom de Céline). Il est également médecin et exerce dans un petit quartier. Désillusionné, il est écœuré par l’humanité. Pris d’une terrible fièvre qui le fait délirer, il se remémore ses souvenirs d’enfance.
La boutique de ses parents, ses études, ses premiers boulots et ses premiers échecs. La relation avec son père et sa mère et son envoi en pension en Angleterre.
Ainsi se compose la première partie.
La seconde aborde le retour en France, les premières expériences sexuelles, sa relation avec son oncle et surtout son travail chez un éditeur rêveur et pathétique.
L’histoire de Mort à Crédit et donc sur l’enfance et la jeunesse. Pourtant, contrairement à ce qu’inspire ces dernières, tout est ici sombre et sans espoirs.
Tout comme pour Voyage au Bout de la Nuit, Céline rédige un ouvrage à mi chemin entre le roman et l’autobiographie. Tout est une fois encore raconté à la première personne, dans un style similaire à celui du Voyage au Bout de la Nuit. Mais ici, le style Céline explose littéralement. La syntaxe est à la fois anarchique et fluide. Le ton très poussé et le débit brutal. L’utilisation régulière de points de suspension, la ponctuation très soutenue : tout cela donne véritablement vie aux phrases de Mort à Crédit.
Mais on retrouvera également cet argot si particulier qui est également l’une des marques de fabrique de Céline. On se demande même où il est allé chercher des mots pareils !
Avec Mort à Crédit, le style Céline atteint tout simplement sa quintessence ! C’est encore plus travaillé et réussi que Voyage au Bout de la Nuit, c’est dire ! L’auteur a poussé à l’extrême son incroyable talent !
Mais Mort à Crédit est surtout une claque monumentale par son contenu et son message qu’il nous délivre en pleine face.
Céline nous dresse ici le portrait d’une société sans âme et déshumanisée.
L’histoire se déroule à la « Belle Epoque » (fin du XIXème Siècle et début du XXème), marquée par les « progrès » sociaux, économiques et technologique. Pourtant Céline nous montre l’envers du décor : une classe moyenne perdante, misérable et endettée jusqu’au cou, tentant de survivre. Le ton est donc très sombre et la narration désillusionnée.
Mais la seconde partie est encore plus trash et on atteint un degré incroyable de cynisme marquant un constat sur la société moderne démocrate. Les personnages de Mort à Crédit ressemble à une nuée de créatures se débattant sans cesse pour tenter se survivre. Dans ce monde cruel, certains nourrissent encore rêves et ambitions, ce qui les rend d’autant plus pathétiques dans ce roman.
Seul le personnage de l’Oncle est positif ici. Il est d’ailleurs intéressant de noter que la Première Partie termine par « oui, mon oncle » et la seconde et dernière par « non, mon oncle ». L’oncle sera la seule figure bienveillante du récit.
Céline dévoile ici sa vision profondément noire de l’humanité qu’on lui connaît. Dans ce livre, la vie des humains n’a plus aucun sens. Tous semblent endettés envers la vie qui leur fait payer en abattant sur eux toutes les misères et malheurs du monde dont seul la mort les délivrera. D’où le titre profondément cynique « Mort à Crédit ».
On ne ressort donc pas d’une telle lecture indemne, Céline sait frapper fort ! On y retrouve ici peut être plus que dans aucun autre livre son style, sa philosophie et sa vision de la vie.
Une fois de plus, l’auteur a signé un chef d’œuvre.
Pourtant si le livre s’est bien vendu à sa sortie, il faut avouer que ça n’a pas été le succès attendu. Il fut d’ailleurs vivement critiqué aussi bien par la gauche que la droite qui trouvaient le fond trop « nihiliste » et le style trop chaotique. Cela dit, il faut aussi resituer les choses dans leur contexte. A l’époque, la France (et même l’Europe) était en ébullition sur le plan politique et les gens s’intéressaient moins aux romans qu’aux pamphlets ou aux essais philosophiques ou politiques. Mort à Crédit avec son côté « roman sombre » n’était donc pas dans l’air du temps.
Céline sera quelque peu blessé par cet accueil. De plus, l’édition lui avait déjà imposé des coupes dans son récit.
Pourtant, avec le temps, Mort à Crédit est devenu un grand classique de la littérature et le second chef d’œuvre le plus cité de Céline après Le Voyage au Bout de la Nuit.
Deuxième livre et deuxième monument de la littérature. Du génie pur ! Un joyau de la littérature française.
Note : 20/20