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22 juillet 2015

Les Mille et une Nuits

 

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Catégorie : Cinéma

Genre : Aventure, Erotique

Année : 1974

Public : Interdit aux moins de 16 ans

Durée : 2H07

Nation : Italie

Réalisateur : Pier Paolo Pasolini

Acteurs : Franco Merli, Ines Pellegrini, Ninetto Davoli, Franco Citti, Tessa Bouche, Gian Idris

Synopsis : Zumurrud, une belle esclave à moitié affranchie choisit pour maître Nur Er Din. Ensemble ils nourrissent une intense passion amoureuse. Cependant un  jour Zumurrud est enlevée. Nur Er Din part alors à sa recherche. Sur son périple il lira et entendra plusieurs contes et histoires liés l’amour. Le récit du roi Haroun El-Rachid et de la reine Berhame, l’histoire de Tadji et Dunya qui est lié à celle d’Aziz et Aziza, celle de Shahzaman et celle de Yunan. Les contes des Mille et une Nuits s’enchaînent.   

 

Analyse critique :

(Attention SPOILERS !)

Nous abordons aujourd’hui le dernier opus de la Trilogie de la Vie : Les Mille et une Nuits réalisé en 1974.

Après l’adaptation du Décameron et des Contes de Canterburry, il paraissait presque logique de voir Pasolini aborder les écrits mondialement célèbres des Milles et une Nuits.

Le cinéaste et penseur continue donc de revisiter un héritage culturel érotique qui semblait avant tout européen avec les deux premiers films. Mais avec ce troisième opus on se demande si ce n’est pas avant tout méditerranéen.

A travers Les Milles et une Nuits, on suit donc l’histoire de plusieurs personnages liés par l’amour où le sexe dans la majorité des cas.

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C’est sans aucun doute le projet le plus ambitieux de Pasolini, quand on connaît la portée de ces écrits. Les adapter à l’écran était un pari osé. Mais le cinéaste veut finir sa trilogie en beauté.

Après l’Italie chrétienne du Sud dans Le Décameron, L’Angleterre protestante dans Les Contes de Canterburry, Pasolini s’attaque ici au Moyen Orient musulman et méditerranéen. Il décide donc de revisiter l’érotisme exotique et oriental.

On peut déjà évoquer le scénario. Dans toutes ses adaptations de chefs d’œuvres de la littérature, Pasolini rédigeait lui-même le scénario. Mais ici, il choisit de le faire en collaboration avec Dacia Mariani. C’est la seule fois où Pasolini collabora avec une femme sur un scénario et cette touche féminine se fait clairement ressentir dans le film comme nous aurons l’occasion de le voir.

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Sur la plan technique et visuel cette nouvelle œuvre ne démérite pas et conclut à merveille le cheminement esthétique de la Trilogie de la vie. Après le brun du Décameron, le mélange de vert et de rouge des Contes de Canterburry, on a ici une teinte sablée et orangée qui nous renvoie à la chaleur de l’Orient.

Une fois encore Pasolini a énormément travaillé le visuel et le décor. Son sens de la photographie s’exprime ici pleinement. Mais ce qui surprend encore, c’est comme toujours l’imagerie du film. L’œuvre de Pasolini a une vraie mythologie à laquelle il adapte tous ses films. Les Costumes, les décors, les objets…Tout est très pasolinien.

Comme d’habitude il y’a un remarquable travail esthétique. De même que la mise en scène est très réussie. Toujours assez théâtrale et très recherchée. La façon de filmer de Pasolini s’accorde également très bien avec le contexte et parvient à faire rejaillir la magie des contes orientaux, tout en y mélangeant un érotisme nouveau mais qui reste dans la tradition ancestrale,  ce qui est extraordinaire.  

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Au niveau de la structure et du montage, Les Milles et une Nuits suit la lignée des films précédents, dans le sens où il met en scène plusieurs histoires différentes. Cependant on garde ici un fil conducteur à travers l’histoire de Nur-ed-Din et Zumurrud qui reste l’histoire principale à laquelle viennent se coupler des tas d’autres contes liés.   

La musique joue elle aussi un rôle certain et on la doit une fois de plus au génial Ennio Morricone. Celui-ci a eu l’occasion de s’amuser avec cette Trilogie de la Vie, puisque le changement de contexte lui permettait d’élaborer des musiques très variées et fortement marquées par le décor du film.

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Le casting est également prestigieux.

Le jeune Franco Merli interprète Nur-ed-Din, un pauvre arabe qui va se retrouver entraîné dans des tas de péripéties après avoir été choisi par une belle esclave du nom de Zumurrud.

Cette dernière est interprétée par la superbe Ines Pellegrini, une actrice exotique magnifique qui marque le film de par sa forte personnalité et son sourire ravageur et provocateur collant parfaitement à la personnalité de Zumurrud.

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Mais on retrouvera également l’acteur culte de Pasolini Ninetto Davoli pour interpréter Aziz dans l’un des contes les plus intéressants, si ce n’est le plus intéressant, du film. Davoli n’est pas très novateur, il joue du Davoli, à savoir un garçon insouciant euphorique et souriant. Même dans les moments tragiques il reste plus ou moins le même. Pour autant, c’est bien évidemment dans ce genre de rôle qu’il est extraordinaire. Il reste donc fidèle à lui-même et offre une prestation pleine de vie.    

Mais parmi les acteurs fétiches de Pasolini, on retrouvera également Franco Citti pour interpréter le génie. Son personnage est littéralement démoniaque. Il est d’ailleurs intéressant de noter que tout au long de l’œuvre de Pasolini, les personnages de Citti sont devenus de plus en plus malveillants et perfides. Souvenons nous que dans le film précédent il interprétait le Diable.

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Pour le reste du casting, Pasolini parvient à dénicher des acteurs exotiques au visage extraordinaire. On notera notamment la prestation de Margareth Clémenti dans le rôle de la fascinante mais venimeuse Boudour.

Les Mille et une Nuits s’impose donc comme la touche finale de la Trilogie de la Vie entamée avec Le Décameron.

Pasolini continue donc de revisiter cet érotisme ancestral en prenant cette fois pour support l’érotisme non pas européen mais oriental. Une fois encore le choix est assez logique dans le sens où Pasolini est italien et qu’il reste donc méditerranéen. Au final Les Mille et une Nuits est une parfaite conclusion car le cinéaste, après avoir revisité l’héritage érotique, arrive à la conclusion que c’est dans la tradition musulmane et orientale que peut se trouver l’érotisme de la libération sexuelle. 

 

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D’ailleurs au sujet de l’érotisme oriental Pauvert déclarait : « Certes des condamnations existent, comme l’adultère, l’inceste, la désobéissance au père, etc. Mais rien de comparable au voile dont l’Occident, au cours des années, a fini par couvrir une chose à la fois essentielle et naturelle ».    

Pasolini s’inscrit plus ou moins dans cette tradition à l’époque.

Ce qui est aussi amusant, c’est de voir la vision de la femme dans le film. Comme je l’ai précisé plus haut, pour la première et seule fois de sa vie, le cinéaste a écrit le scénario avec une femme, Dacia Mariani. Ainsi on remarque que dans Les Mille et une Nuits, les femmes semblent dominer et avoir le pouvoir. Elles se montrent même parfois cruelles dans l’exercice de leur pouvoir sur les hommes. Mais elles apparaissent aussi comme des anges châtiant des hommes pêcheurs. On le voit notamment avec les scènes entre Boudour et Aziz, ou avec celle où Zumurrud se faisant passer pour le roi, s’amuse à humilier Nur-ed-Din. Cependant la figure angélique de la femme peut aussi être bienveillante, comme avec Aziza qui malgré le manque d’amour d’Aziz à son encontre, va tout faire pour sauver ce dernier.

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Les Milles et une Nuits est donc une œuvre fascinante. A sa sortie le film fera un énorme succès. Cependant comme les deux autres opus, il sera poursuivi en justice mais ne subira pas le même acharnement.

Pasolini achève parfaitement sa Trilogie de la Vie. Il a revisité un érotisme d’antan et une culture d’antan pour tenter de comprendre les enjeux du monde des années 70. Et ainsi, il semble nous dire qu’il n’y a pas tant de différence entre les questions de l’époque et celle d’aujourd’hui. La Trilogie de la Vie exalte l’érotisme et pousse la libération sexuelle des seventies à aller dans ce sens là.

On pourrait dire que le pari est réussi, puisque ces trois films seront de très grands succès lors de leur sortie au cinéma. Egalant aux box office les films hollywoodiens. Si bien qu’à l’époque, des intellectuels accuseront Pasolini d’être avant tout un cinéaste commercial qui sous couvert d’un discours culturel veut faire de l’argent facile.

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On ne peut remettre en cause la sincérité de Pasolini dans ces œuvres. Et le succès montre quelque part qu’il avait cerné les enjeux évidents de la société de l’époque. Il aimait d’ailleurs appeler sa Trilogie de la Vie, « la Trilogie Visionnaire ».

La Trilogie de la Vie reste donc l’une des pièces maîtresse de l’œuvre de Pasolini. Et pourtant, moins d’un an après, le cinéaste déclare qu’il « abjure la Trilogie de la Vie ». Pourquoi ? Car il estime que « Aujourd’hui, la dégénérescence des corps et des sexes a pris une valeur rétroactive, et leur manière d’être d’alors et dévalué par le présent ».

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Il donne d’ailleurs quelques raisons plus précises de cette abjuration :

«  1/La lutte progressiste pour la démocratisation de l’expression et pour la libération sexuelle a été brutalement dépassé et rendue vaine par la décision du pouvoir consumériste d’accorder une tolérance aussi large que fausse.

2/ La « réalité » des corps innocents a été elle-même violée, manipulée, dénaturée par le pouvoir consumériste. Bien plus, cette violence sur les corps est devenue la donnée la plus macroscopique de la nouvelle époque humaine.

3/ Les vies sexuelles privées (comme la mienne) ont subi le traumatisme aussi bien de la fausse tolérance que de la dégradation corporelle, et ce qui, dans les fantasmes sexuels, était douleur et joie, est devenue déception suicidaire, inertie informe. »

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A partir de là tout est clair, on comprend parfaitement le cheminement de Pasolini, et ces trois raisons illustrent en fait parfaitement les motivations qui le mèneront au film suivant qui sera également son dernier. 

C'est-à-dire qu’en 1974, Pasolini en arrive à la conclusion de ce qu’il soupçonnait dés 1969, à savoir que la libération sexuelle, n’est pas une révolution populaire mais bien une hypocrisie et une action qui s’inscrit dans le consumériste néolibéral.

Alors que La Trilogie de la Vie tranchait ouvertement avec le côté radical de Porcherie ou Médée, Pasolini ne faisait que revisiter et étudier les racines de l’érotisme à travers Le Décameron, Les Contes de Canterburry et Les Mille et une Nuits. Et c’est ce travail de recherche qui l’a mené à conclure que le sexe était désormais lié au capitalisme et au consumérisme.

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C’est pourquoi la Trilogie de la Vie qu’il abjure logiquement, a également et paradoxalement été essentielle. C’est d’ailleurs aussi pourquoi il déclare : « J’abjure la Trilogie de la Vie, bien que je ne regrette pas de l’avoir faite ».

La Trilogie de la Vie était l’étape obligatoire pour l’évolution de Pasolini. Et on comprend que cette « trilogie visionnaire » a dans son œuvre une place aussi importante que Théorème. Elle marque la fin d’un axe artistique dans la vie de Pasolini. Une fin logique de quelque chose qui donnera naissance à un renouveau.

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La Trilogie de la Vie est donc essentielle pour comprendre Pasolini et l’évolution de son art et de sa pensée.

Les Mille et une Nuits en est la conclusion logique et  parfaite.     

                                

     

 

 

Note : 18,5/20

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Commentaires
V
à Oliver: en effet essentielle mais abjurée par son auteur
A
Magnifique conclusion de cette trilogie essentielle dans la filmo de Pasolini
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