Elie et Dieudonné

22 avril 2015

Catégorie : Spectacle

Genre : Humour

Année : 1992

Public : Tous Publics

Durée : 1H12

Nation : France

Mise en Scène: Pascal Légitimus

Interprètes : Elie Semoun, Dieudonné M’Bala M’Bala

Sujet : A travers différents sketches, Elie et Dieudonné abordent avec humour l’adolescence, la délinquance, le racisme, l’antisémitisme, les sectes et bien d’autres sujets encore. Alors que sur la salle du théâtre du Splendid, pèse une terrible menace orchestrée par des nazis.

Analyse critique :

(Attention SPOILERS !)

Sur E-Pôle-Art, nous avons récemment abordé l’intégrale des Inconnus, trio humoristique mythique des années 90. Aujourd’hui, je vous propose donc d’aborder un duo comique culte de cette même décennie : Elie et Dieudonné.

Ces deux artistes devinrent eux aussi célèbre sur la scène des années 90. Représentants d’un humour noir, ils étaient aussi considérés comme un symbole de l’antiracisme. En effet, leurs sketches mettaient souvent à profit les origines africaines de Dieudonné et la judéité d’Elie Semoun. Toujours dans l’optique de tourner le racisme en dérision.

Mais comment est né ce duo comique ? En réalité Elie Semoun et Dieudonné M’Bala M’Bala se sont rencontré en classe de terminale. Le premier est juif d’origine marocaine, le second franco-camerounais. Les deux hommes ont le sens de l’humour et s’entendent à merveille.

Au début des années 90, ils se lancent alors dans l’humour. Ils jouent notamment quelques premiers sketches dans des théâtres cafés et surtout au célèbre Café de la Gare à Paris. C’est là qu’ils se font repérer notamment par Pascal Légitimus, le célèbre humoriste membre des Inconnus. Ce dernier s’entend très bien avec ces deux petits nouveaux et décide de les aider à mettre en place leur premier spectacle. C’est de celui-ci dont je décide de vous parler ici.

Ce spectacle est donc réalisé et mis en scène par Pascal Légitimus lui-même. Il fut tout simplement baptisé Elie et Dieudonné comme le duo et fut joué et enregistré au Théâtre du Splendid.

Tout s’ouvre sur la musique orientale « Aloulou Aloulou » avant que le silence ne se fasse et que les deux humoristes apparaissent en impers noirs, chapeaux et lunettes noires prenant la parole avec un fort accent allemand. « Comme vous pouvez le constater nous sommes deux purs produits de la race aryenne » annonce Elie Semoun sous les rires de la foule. Nos deux nazillons, vêtus comme la gestapo, nous dressent alors un portrait trash de leurs activités avant d’annoncer qu’un compte à rebours a commencé et que toute la salle sera gazée dans environ une heure.

Le cœur du spectacle commence alors. Avec des sketches comme « Le Métro » qui est un sacré morceau d’humour noir et sordide mettant d’entrée dans les bonnes conditions. Puis vient « Les Ados », « Les Comiques » ou encore « Le Monoprix ». Un premier jet assez drôle qui déjà montre que le duo aborde un peu tous les sujets et fonctionne bien.

Mais la seconde partie est encore meilleure avec des sketches comme « L’extraterrestre » et « Gana », le gourou qui va devenir très culte dans leurs spectacles avec la fameuse chanson « Je le donne à Gana ! ». Dans un registre plus léger et déjanté « Villetaneuse » puis plus piquant avec « Les Bouchers » et le loufoque « Sherkhan ».

Arrive alors « Cohen et Bokassa », soit le sketch le plus culte du duo qui parle d’une altercation assez virulente entre deux voisins, l’un juif et l’autre noir, après que leurs enfants se soient battus. Ce sketch est absolument énorme et contient des répliques désormais cultes :

Pour Cohen :

« J’me comprends »

« Dans la résidence vous êtes un peu trop nombreux. Alors j’sais pas si y’avait un champ de coton ou quoi dans le quartier, j’sais pas, je veux pas le savoir. Parce que déjà qu’on a le bruit et les odeurs »

« Ça marche les allocations ? Ça paye les bananes ? »

« Eh ! Bokassa ? Tes chimpanzés qui courent partout dans la résidence là, ils sont numérotés ? »

Pour Bokassa :

« C’que j’comprend moi Cohen, c’est qu’en 45 les boches ils auraient pu finir le boulot Cohen. »

« Faut pas s’énerver comme ça Cohen. Y’a pas marqué « palestinien » là Cohen »

« T’as pas mis la galette et les guirlandes là Cohen ? »

Et avant d’en venir aux mains :

« J’vais broyer du noir moi !

-Attention Cohen, parce que là ça va être la boucherie et elle va pas être casher celle là »

Des répliques cultes parmi d’autres. Toujours est-il que « Cohen Et Bokassa » illustre très bien l’humour noir et corrosif d’Elie et Dieudonné.

Puis après ça, dans un registre totalement absurde on a « Zephirin et Amandine » où rien que le fait de voir Elie et Dieudo dans leurs costumes me fait rire.

Puis pour terminer, nous avons le retour des « chleus ». Cependant même au moment de saluer, les deux artistes en remettent une couche.

Bref on a droit à un bon spectacle et très bien dosé je trouve. En règle générale les premiers sketches sont drôles sans plus, mais plus on avance, plus la qualité de l’humour augmente. La mise en scène théâtrale de Pascal Légitimus est vraiment très réussie de même que le choix de certains costumes de scène.

L’humour d’Elie et Dieudonné est d’ailleurs très intéressant. Il est à la fois noir, corrosif, irrévérencieux et absurde. Dans leurs influences, on peut trouver un peu des Inconnus. Ce qui n’a rien de surprenant puisque nous sommes en plein cœur des années 90 et que c’est Pascal Légitimus qui met en scène le spectacle. Certains ont même évoqué l’influence du vieil Hara-Kiri. Les répliques sont également croustillantes. Par ailleurs ce sont les deux artistes qui écrivaient leur spectacle (plus tard Semoun avouera cependant que c’était Dieudonné qui faisait le plus gros de l’écriture). Mais surtout, le duo fonctionne à merveille et on sent une réelle complicité et complémentarité entre les deux artistes. Mais ce qui est également comique, c’est leurs aspects respectifs opposés : Le petit juif marocain chétif, face au grand noir plutôt costaud. On retrouve à travers ces caractéristiques, les composantes des plus vieux duos de clowns. En ce sens, Elie et Dieudonné s’inscrivent dans une vieille tradition humoristique et c’est ce qui fait leur charme.

Ils interprètent très bien leurs différents personnages. A ce niveau là cependant, je trouve que Dieudonné a une palette plus étendue que celle d’Elie.

Leur humour est également intéressant une fois encore dans le sens où il permet d’aborder des sujets tabous de société tels que les problèmes sociaux, la délinquance, le racisme, l’antisémitisme, l’homosexualité, la France profonde, la culture et des tas d’autres choses. Le tout avec un humour corrosif qui par moment ne fait pas dans la dentelle. Et ça fonctionne remarquablement.

Elie et Dieudonné est donc un spectacle très réussi. Certes, en le resituant dans les années 90, on peut clairement trouver que le duo souffre de la comparaison avec certains humoristes de l’époque comme Les Inconnus qui avaient beaucoup plus de métier.

Mais ici, on assiste à l’émergence de deux comiques et ils s’en sortent très bien, plaçant la barre très haute pour leurs débuts sur scène.

Elie et Dieudonné sera un succès, les deux hommes rempliront le théâtre du Splendid et séduiront également la critique. Ce spectacle va permettre au duo de devenir très rapidement populaire et de s’imposer dans le milieu de l’humour et du spectacle.