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24 août 2015

Carne

 

0,5

 

Catégorie : Cinéma

Genre : Drame

Année : 1991

Public : Interdit aux moins de 16 ans

Durée : 38 minutes

Nation : France

Réalisateur : Gaspar Noé

Acteurs : Philippe Nahon, Blandine Lenoir, Frankie Pain, Zaven.

Synopsis : La vie glauque et miséreuse d’un boucher chevalin de la Banlieue parisienne. Chaque journées se ressemblent pour le boucher qui vit seul avec sa fille qui est arriérée mentalement et muette. Alors que cette dernière passe ses journées devant la télé, le boucher travaille dur. Mais sa fille grandit et prend des formes. Un jour elle panique après avoir eu ses premières règles. Mais sur un malentendu, le boucher pense qu’elle a été violée par un ouvrier immigré du coin. Fou de rage, il commet l’irréparable.          

 

Analyse critique :

(Attention SPOILERS !)

Aujourd’hui, je me décide à aborder un de nos meilleurs réalisateurs français de ces dernières années. Ce n’est d’ailleurs pas un français, car bien qu’il vive dans notre pays hexagonal depuis très longtemps, il est argentin et dit d’ailleurs lui-même : « je ne suis pas français, je n’ai même pas de passeport ». C’est malheureux qu’en France nous soyons obligés d’aller chercher des talents à l’étranger pour remonter notre niveau.

Quoiqu’il en soit, Gaspar Noé s’est plus ou moins inscrit dans un cinéma qui est typiquement français, tout du moins concernant ses premières œuvres. 

C’est d’ailleurs de la première que je décide de vous parler aujourd’hui. Il s’agit d’un moyen métrage baptisé Carne qui fut réalisé en 1991. A l’époque, Noé qui ne roulait pas sur l’or venait de créer avec sa femme sa société Les Cinémas de la Zone. Pour un premier film, il choisit de réaliser un moyen métrage de 38 minutes, qui fut cofinancé par Canal +.

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Pour l’histoire de ce long métrage, Noé a en fait ressorti un très vieux script qu’il avait rédigé alors qu’il était étudiant à l’Ecole Louis Lumière à Paris.

C’est donc l’histoire d’un boucher chevalin de la banlieue parisienne.

Pourquoi un boucher chevalin ? Noé raconte que c’était pour lui une image qui symbolisait bien la France. En effet la France est le ou l’un des seuls pays où la viande de cheval est autorisée. Le réalisateur argentin raconte d’ailleurs que lors de son arrivée en France, il est allé s’acheter son steak de cheval et l’a particulièrement apprécié. C’est malheureusement une belle (et excellente) tradition de notre pays hexagonal qui s’est perdu. La boucherie chevaline est quasiment morte. Noé évoque d’ailleurs le côté viscéral qui empêche les gens de manger du cheval alors que c’est une viande rouge de grande qualité.

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Mais au final, on peut comprendre à quel point la profession de boucher chevalin a une énorme symbolique dans le film. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que ce moyen métrage prend le nom de « Carne » (surnom péjoratif donné à la viande de cheval). En réalité, le personnage est à l’image de son métier, il est en chute et désormais en faillite aussi bien financière, sociale que morale.

Noé filme donc ce boucher qui, comme il le dit, « tente de survivre dans les entrailles de son pays ».

Que dire alors de la réalisation ? Carne s’impose d’entrée de jeu par son style direct et très franc, brut de décoffrage. Le montage semble aligné sur les coups de couperets du boucher. C’est coupé net mais proprement. Les coupures sont d’ailleurs ponctuées d’un effet choc récurent, un effet sonore qui sonne d’un coup en faisant « TUN » et qui établit déjà l’atmosphère glauque de ce moyen métrage.

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Le glauque et le sordide est ce à quoi on pense en parlant de ce film. Dés la première image on a l’image d’une façade vraiment crade et glauque. Il y’a une teinte rougeâtre, mais un rouge dégueulasse et sordide qui va devenir un canon esthétique propre au cinéma de Gaspar Noé.

Le décor est également incroyable et nous renvoie aux bas quartiers de la banlieue parisienne. C’est d’ailleurs un décor réel. A l’époque, Noé n’avait pas les moyens, et a dû aller voir des gens du quotidien pour leur demander de lui prêter leur enseigne pour le tournage. Ainsi il tourna dans plusieurs boucheries différentes, de même que dans plusieurs bars. Même la scène d’ouverture de la mise à mort du cheval fut tournée dans un vrai abattoir (Noé en a d’ailleurs parcouru plus d’un avant qu’on accepte de le laisser filmer une telle scène). Il fallait donc tourner vite et avec peu de moyens et le réalisateur y ‘est parvenu à merveille.

Il montre déjà un vrai génie pour filmer. Il va chercher des angles impossibles qui renforcent le malaise que produit chaque image sur le spectateur. Il malmène également son public par quelques procédés techniques bien vus. La plupart du temps la caméra est stable, puis soudain on peut avoir un mouvement de caméra très violent accompagné d’une sonorité rappelant un coup de feu. Vous l’aurez compris Carne est une œuvre choc et pas seulement par sa réalisation mais aussi par ce qu’elle montre et le débat qu’elle ouvre.

           

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Cela passe donc également par la violence. On pensera notamment à la scène de l’agression de l’ouvrier qui s’inspire aussi pas mal du cinéma de Brian de Palma de l’aveu de Noé. Mais les scènes de sexe en elles mêmes sont également violentes. Là encore on citera la scène où le boucher sodomise la patronne du bar, sa future compagne. Mais la vraie violence de Carne se situe surtout dans les paroles du Boucher, un homme désillusionné de tout pour qui la vie n’est justement plus qu’une survie. Tout au long du film, il règne également une atmosphère malsaine et glauque, que ce soit à travers les décors où les personnages. Le cinéaste sait également jouer sur chaque détail pour créer ce climat. Certains passages qui peuvent paraître anodin y contribuent largement. Par exemple quand dans le bar on entend un type lire dans le journal que des cinglés se sont amusés à coller des lames de rasoir sur le toboggan du parc pour que les enfants se coupent (Noé affirme qu’il avait lu ça dans les faits divers pour l’inclure au film). Ce sont ces petits détails qui servent à instaurer une ambiance et un contexte.

Le réalisateur use également d’un procédé que l’on retrouvera chez lui, l’utilisation de phrases qui entrecoupent le film par moment. Des phrases chocs telles que « Et vous ? Êtes-vous à l’abri d’un dérapage ? ». Ou encore « La plupart des embryons sont conçus par accident ». Cela aussi contribue également au climat du film.  

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Noé gère donc son film d’une main de maître et montre déjà un immense savoir faire. Mais surtout il crée un style très personnel et vraiment unique en son genre. On retrouve déjà les codes qui font que l’on reconnaît un film de Gaspar Noé dés la première image. Le film regorge d’ingéniosités de mise en scène notamment lorsqu’il met en lien le mouvement permanent d’un poney mécanique qui revient sans cesse dans le film, avec le boucher pénétrant la patronne du bar. Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres.

Parlons également de la musique. Le réalisateur utilise plus des sons comme je l’ai évoqué qu’une BO pure. Le peu de musique utilisé reste de la culture populaire et Noé en joue à merveille. Je pense spécialement au moment où il utilise « Ti Amo » d’Umberto Tozzi qui colle à ce parfum des années 70 où se déroule l’histoire. Noé emploie ici une musique très familière à tout le monde pour faire entrer le spectateur dans le film. Il inclut là un détail du quotidien pour renforcer l’immersion totale. Cela crée un effet très particulier dans un film comme Carne. Personnellement vous ne pouvez plus écouter « Ti Amo » de la même façon après ça. Perso à chaque fois que je l’entends depuis, je revois les recoins glauques de cette boucherie chevaline de banlieue parisienne. Noé voulait également utiliser du Claude Nougaro pour la fin du film et notamment « Tu verras », ce qui aurait été prémonitoire en l’occurrence et annonciateur. Cependant le cinéaste n’avait pas assez d’argent pour les droits d’auteur (L’utilisation de « Ti Amo » lui avait déjà fait mal au budget). Il a donc choisit une petite musique qui colle assez bien au contexte et à la situation. Elle a même un petit côté parisien traditionnel.

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Mais venons-en au casting.

Pour le rôle principal du Boucher, Noé choisit Philippe Nahon. Cet acteur joue depuis le début des années 60, et n’avait fait que des petites apparitions dans des films, il jouait souvent des gangsters, et on peut notamment l’apercevoir dans Le Doulos de Jean-Pierre Melville. Pas une carrière brillante, et c’est pourquoi il accepta l’offre de Noé de jouer pour rien du tout. Nahon signe tout simplement le rôle de sa vie. Il ne joue pas le boucher, il est le boucher. Il est à 200% dans le personnage. Il a en lui toute cette force et cette violence qui émanent du personnage. Tout cela transparaît sur son visage. Mais dans son jeu on retiendra toujours sa voix-off. Car la voix off est omniprésente dans le film. C’est là encore quelque chose d’assez récurent dans le cinéma de Noé qui trouve que ce procédé est même sous exploité au cinéma. Comme il le dit très bien, dans la vraie vie, nous avons tous notre voix-off au fond de nous. La voix-off de Philippe Nahon est donc impressionnante. La tonalité rappelle du Jean Gabin en plus sombre, de même que les dialogues rappellent du Audiard en plus trash. La prestation de Nahon est donc tout simplement hallucinante.    

On retrouve ensuite Blandine Lenoir, dans le rôle de la fille simplette du boucher. Elle aussi est absolument superbe et crédible dans son rôle. La jeune actrice s’implique à fond dans son personnage.

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Puis nous avons Frankie Pain pour interpréter elle aussi de façon magistrale la patronne du Bar.

Ce qui frappe dans ces personnages principaux, et qui frappe également dans tous les petits rôles du film, c’est l’authenticité des interprètes. Tout comme, au final, dans les premiers films de Pasolini (qui reste une des influences majeures de Noé). Chaque personnage et chaque visage est crédible.     

On notera aussi la présence de Zaven dans le rôle de « la Carne », une sorte de super-héros de la télévision que regarde la fille du boucher en permanence.   

Carne est donc un film incroyable. Sur le fond, Gaspar Noé nous plonge dans les fin-fonds de la société française et au cœur de la crise sociale. Ici une banlieue parisienne, dans laquelle un homme désillusionné a perdu tout espoir et ne cherche plus qu’à survivre. C’est un portrait très sombre et un constat terrible sur la société moderne, qui reste toujours d’actualité plus de 20 ans après sa sortie (sans compter que l’histoire du film se situe dans la fin des années 70). On a donc un portrait du prolétaire français sans idéologie, sans idéal même et sans rêve, qui lutte tel un animal pour survivre.

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Par moment ça me rappelle un peu Série Noire de Corneau, même si c’est très différent, mais l’aspect « survival social » est là. On appréciera également le fait que Gaspar brise les stéréotypes et les clichés de base. Ainsi ce n’est pas l’homme apprenant qu’il est devenu père qui abandonne sa femme et sa fille mais au contraire la compagne qui se barre en laissant seul le boucher à élever sa fille autiste et muette. De même que ce n’est pas le travailleur immigré qui est dans la merde et la précarité mais bien le français de souche (désolé il est vrai qu’on a plus le droit d’utiliser ce mot).

On retrouve d’ailleurs un peu le clash des civilisations social à travers l’amertume qu’éprouve le boucher face au fait que sa boucherie chevaline soit reprise par un arabe qui y fait une boucherie musulmane. 

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Vous l’aurez compris, Carne est une claque monumentale. Et pour un premier film, Noé fixe la barre très haute. Le format moyen métrage lui permet d’être direct et de tout lâcher d’un coup. On en prend plein la gueule pendant 38 minutes.

Une œuvre choc et une totale réussite 

     

             

           

Note : 16/20

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Commentaires
V
à Titi: Je dois t'avouer que les dernières interviews du bonhomme ne m'ont pas réellement convaincu également. Et effectivement je sens naître en lui une certaine arrogance. Pour autant ici je parler de son premier film et franchement je te le conseille.
T
Je n'ai vu aucun film de Gaspard Noé et je dois bien avouer que ça ne m'interesse pas du tout. En plus, je trouve le bonhomme assez arrogant et relativement hypocrite dans ses interview ("Mon film n'est pas un porno, mais, un film d'amour). Bref, même si je lis avec intérêt tes chroniques, ce genre de films me laisse froid.
A
à inthemood: vivement la chronique sur Cinéma Choc !
A
à vince: j'ai vu Seul contre tous... Autant dire qu'il va falloir que je découvre rapidement ce moyen métrage de Noé...
V
à Inthemood: Non je dois avouer que je ne connais pas, je lirai donc ta chro avec intérêt.
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