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3 juillet 2015

L'Evangile selon Saint Matthieu

 

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Catégorie : Cinéma

Genre : Drame, Drame Religieux

Année : 1964

Public : Tous Publics

Durée : 2H11

Nation : Italie

Réalisateur : Pier Paolo Pasolini

Acteurs : Enrique Irazoqui, Margherita Caruso, Susanna Pasolini, Marcello Morante, Mario Socrate.

Synopsis : La vie de Jésus de Nazareth, le fils de Dieu conçu par l’immaculée conception. Dés sa naissance, il est prédestiné à devenir un prophète. Après son baptême, Jésus s’attache à apporter aux hommes la parole de Dieu. Il s’attire ainsi les foudres des pharisiens, les tenants du temple qui voient d’un mauvais œil ce nouveau messie. Tout ce long chemin mènera Jésus à finir sa vie en martyr.   

 

Analyse critique :

(Attention SPOILERS !)

Aujourd’hui du lourd, puisque nous continuons notre cycle Pasolini avec L’Evangile selon Saint Matthieu. Une des œuvres les plus puissantes du cinéaste.

Pasolini n’avait que deux longs métrages à son actif, mais il s’était déjà imposé comme un artiste majeur du septième art. Cependant il regrettait que ces deux longs métrages (qui sont des chefs d’œuvres) se ressemblent. Il avait l’impression d’avoir fait le même film. En 1964, avec cette nouvelle œuvre il change donc complètement de registre.

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Pasolini décide tout simplement de se lancer dans l’adaptation sur grand écran de L’Evangile selon Saint Matthieu. Un projet plus qu’audacieux. Après deux films seulement, se lancer dans une telle œuvre semble tenir de la folie. Rien qu’à l’annonce du projet un débat explose. Ce qui est normal quand on parle d’une adaptation à l’écran de la vie du Christ, mais cela est encore plus compréhensible quand on sait que c’est Pier Paolo Pasolini qui est derrière ce projet. L’intellectuel marxiste et athée qui avait déjà élevé les polémiques avec ses livres et ces deux premiers films. Mais il avait surtout déclenché un scandale avec son moyen-métrage La Ricotta, qui à ce moment là lui valait quatre mois de prison avec sursis pour « outrage à la religion ». Autant dire que les milieux catholiques s’inquiètent de voir le cinéaste se lancer dans l’adaptation de L’Evangile selon Saint Matthieu.

On peut se demander aussi ce que Pasolini va faire sur un tel sujet. L’artiste voudrait-il se faire pardonner La Ricotta ? Ce n’est pas vraiment le genre du cinéaste qui reste fidèle à ses principes. Il a au contraire une volonté réelle de faire un chef d’œuvre sur le Christ selon sa vision personnelle. On sait que Pasolini est athée, il affirme avoir cessé de croire à l’âge de quinze ans. Quelle sera donc sa vision ?

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Quoiqu’il en soit, La Pro Civitate Christiana, une association religieuse italienne prend les devants et veut pourvoir disposer des esquisses du projet pour donner son consentement. Pasolini collaborera ouvertement avec eux, et utilisera même leurs conseils pour plusieurs détails historiques et religieux du film.

Le tournage est donc lancé. Au début Pasolini, ambitieux pense carrément tourner en Palestine, là où a vécu le Christ. Il s’y rend en 1963 pour y faire des repérages, mais le nouveau modernisme de la région ne lui convient pas et il abandonne cette idée. Cela dit son voyage n’aura pas été inutile, puisqu’il réalisera un documentaire sur ces repérages.

Il choisit finalement de tourner son film dans le sud de l’Italie.

L’Evangile selon Saint Matthieu est donc l’adaptation très fidèle du texte issu du Nouveau Testament. Pasolini nous fait suivre la vie du Christ de sa naissance jusqu’à sa crucifixion.

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Comment envisager une telle œuvre. Pour le réaliser Pasolini a longuement réfléchi à la façon de tourner son film. Tout d’abord, étant athée, il choisit de tourner d’un point de vue totalement neutre et même détaché. Un regard externe sur la vie du Christ. Cependant en analysant les premiers rushes de son film, le cinéaste va trouver le résultat très peu convaincant. Il est d’ailleurs marrant de constater que les scènes du procès du Christ sont justement tourné dans cette posture neutre et distante, j’ignore si c’est parce qu’elles furent tournées au début du film ou si en fait Pasolini a choisit ce détachement pour souligner le reniement de Simon envers Jésus. Quoiqu’il en soit le point de vue neutre ne convient pas à Pasolini, il le trouve même catastrophique sur le plan artistique. Le cinéaste change alors de direction et adopte le point de vue d’un vrai croyant. Et c’est grâce à cette approche qu’il va signer un film dont la réalisation a vraiment quelque chose de novateur.

 

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Premièrement sur l’aspect technique, il tourne en noir et blanc comme ses films précédents, ce qui lui permet de parfaire la photographie. Il met à sa disposition une palette très vaste d’objectifs qu’il utilise pour créer des panoramiques impressionnants et des gros plans sur visages envoûtants. Le cinéaste use d’ailleurs pour la première fois la technique du zoom avant et en tire le meilleur profit qui soit. Sa réalisation est mystique et a vraiment quelque chose de sacré. Pasolini parvient beaucoup à jouer avec les ombres et les lumières pour conférer aux images ce caractère sacré et leur puissance visuelle. Il y’a un style parfois baroque qui est très impressionnant. Il utilise peut être moins les mouvements de caméra que l’on pouvait trouver dans ses premiers films, pour une image plus fixe qui colle mieux à la tonalité et au décor de l’œuvre. Sa réalisation atteint donc des sommets et est construite comme une sorte de long rituel religieux. Chaque image dégage quelque chose de religieux et une fois encore de purement sacré.

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Mais la sacralité est beaucoup soulignée par la musique. Il faut dire que la Bande originale de L’Evangile selon Saint Matthieu est à la fois l’une des plus étranges et des plus belles  de l’histoire du cinéma. On retrouve des œuvres de J.S Bach qu’il avait déjà utilisé dans Accattone (là encore pour souligner l’aspect sacré de son récit). Ces partitions confèrent au film une puissance incroyable. On retrouve également du Mozart, du Prokoviev, du Webern et mêmes des champs révolutionnaires russes, des Spirituals et des chants de Missa Luba congolais. Un tel mélange peut apparaître farfelu et pourtant tout s’accorde parfaitement et confère au film sa tonalité et sa puissance sacrée.

L’ambiance est telle que quand on regarde L’Evangile selon Saint Matthieu, on a l’impression de communier intérieurement (ou d’être baptisé en fonction de son point de vue face à la religion).

Les décors jouent également un grand rôle, de même que les costumes. Pasolini a su leur conférer la même dimension sacré qu’aux images de même qu’un grand réalisme.

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Cette volonté de sacralité et de réalisme à la fois religieux et historique, on la retrouve également dans le langage qui est l’une des pièces maîtresse de toute l’œuvre artistique de Pasolini. Certes il ne reprend pas les vieilles langues, mais les mots qu’il choisit et l’intonation qu’utilisent les acteurs plongent vraiment le spectateur dans ce drame religieux.

Nous en venons donc aux acteurs. Ces derniers n’étaient pas du tout des professionnels et sont d’ailleurs restés de parfaits inconnus dans toute leur carrière. C’est à mon avis un choix très judicieux pour un tel film. 

Le rôle du Christ est confié à un espagnol du nom d’Enrique Irazoqui. Il livre une performance absolument hallucinante. Premièrement son visage est extraordinaire. Ensuite son jeu confère la puissance nécessaire au personnage. Si vous visionnez le film en version originale vous serez impressionné par la façon avec laquelle il joue avec l’intonation de sa voie. Une voie qui est vraiment impressionnante, limite effrayante tant elle dégage de la puissance. Il me paraît clair qu’Irazoqui n’aurait jamais pu retrouver un autre rôle suite à celui-ci. Il y’est tellement parfait et tellement marquant. C’est probablement l’une des 3 meilleures prestations non professionnelle de l’histoire du cinéma. 

 

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Pour ce qui est du reste du casting, les interprètes sont tous parfaits. Ce qui frappe là encore c’est leurs visages (rien que celui de Margherita Caruso, dans le rôle de la jeune Marie, est inoubliable). Des faciès comme seul le cinéma italien peut en offrir. Mais ici, ces visages extraordinaires qui sont de vrais masques, servent surtout à créer l’illusion d’une époque très lointaine et contribuent là aussi à donner au film son caractère sacré.

On notera également que la Marie âgée est jouée par Susanna Pasolini, soit la mère de l’artiste. Cela revêt une valeur symbolique comme nous le verrons plus loin. 

Tous ces éléments font de L’Evangile selon Saint Matthieu un film unique et une véritable expérience puissante et intense.

 

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Pour ce qui est du fond de l’œuvre nous y arrivons enfin. L’Evangile selon Saint Matthieu n’est pas vraiment un film complexe, car c’est avant tout un hommage au christianisme. Pasolini se réclamait athée, il ne croyait pas que le Christ était le fils de Dieu et il le vénérait comme un être divin pour ses paroles. Et à travers ce film c’est ce qu’il veut faire, prôner les paroles d’amour et de paix du Christ. Mais aussi des paroles de tolérance. C’est d’ailleurs pour cela que le film est dédié au Pape Jean XXIII à l’origine de Vatican II pour une Eglise catholique beaucoup plus tolérante. Et cette dimension plaisait beaucoup à Pasolini qui admirait cette « nouvelle réforme » de l’Eglise chrétienne. Cette vision du cinéaste en ce temps précis et intéressante car elle va considérablement évoluer par la suite, et ce que la postérité ne dit jamais sur Pasolini, c’est que vers la fin de sa vie il avait même tendance à aller vers un certain traditionalisme chrétien qui était à l’opposé de Vatican II. Mais nous aurons l’occasion d’y revenir plus tard dans notre cycle pasolinien. D’ailleurs à travers les paroles du Christ on trouve une certaine subversion qui serait impossible à l’heure actuelle. Et c’est aussi cela qui rend l’œuvre de Pasolini unique et essentielle. L’Evangile selon Saint Matthieu est donc un hommage aux écritures saintes.

 

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Le film se veut très fidèles au texte d’origine, à part sur une séquence où Pasolini met en scène une Marie vieillie qui vient assister au triomphe de son fils à Jérusalem. C’est un épisode qui ne figure nullement dans la Bible. Pourquoi Pasolini l’a-t-il inclus ? Pourquoi cette infidélité ? En réalité cette scène représente plus ou moins la touche personnelle du cinéaste. N’oublions pas que cette Marie est interprétée par sa mère Susanna Pasolini. Le réalisateur semble en quelque sorte s’identifier au Christ. Cela pourrait paraître une démarche prétentieuse mais ce n’est pas du tout le cas. C’est plus ses relations avec sa propre mère qui sont ici abordées. Cela dit, quand on regarde la carrière de Pasolini, on constate que tout comme le Christ, il fut un Martyr.

L’Evangile Selon Saint Matthieu est donc plus qu’un film. C’est une véritable expérience spirituelle qui se vit littéralement ! C’est en quelque sorte un voyage au fond de soi-même et se sa propre spiritualité. Je ne pense d’ailleurs pas qu’il faille être chrétien ou même religieux pour comprendre et adhérer à un tel chef d’œuvre.

 

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A sa sortie, le film sera d’ailleurs unanimement salué. Il reçut plusieurs récompenses dont le prix spécial du jury du Festival de Venise. Quant à l’Eglise et aux milieux religieux, ils seront également conquis par le film de Pasolini, qui réconciliera même certains milieux traditionnalistes avec le cinéma. L’Evangile selon Saint Matthieu recevra même le Grand Prix de l’Office Catholique du Cinéma.

Ce fut donc le premier film de Pasolini qui passera sans problème la censure et qui ne sera pas attaqué en justice. Pour autant, L’Evangile selon Saint Matthieu de par sa fidélité aux écrits qu’il adapte et un film éminemment subversif. S’il n’a pas rencontré de problèmes à l’époque il me paraît clair (et aussi paradoxal) qu’aujourd’hui un tel film ne serait plus possible, surtout quand on voit le tôlé que provoquent les films sur ce sujet et qu’on voit que certains passages de la Bible ont été interdits par notre société dite « bien pensante ».

 

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Mais j’aimerai pour conclure revenir sur le rapport de Pasolini à la religion à travers ce film. Une fois encore il s’est toujours réclamé athée mais aussi chrétien. Lors du festival de Venise, lorsque la presse lui demanda s’il était croyant et s’il pensait que le Christ était le fils de Dieu, il répondit « Bien sûr que non ». Cette réponse frappa beaucoup un prêtre italien du nom de Virgilo Fantuzzi qui avait été bouleversé par le film et ne parvenait pas à concevoir qu’une telle œuvre, aussi forte spirituellement et aussi teintée d’amour envers le personnage du Christ, ait pu être réalisée par un athée. Cette question le travailla tellement, que le prêtre Fantuzzi rencontra Pasolini pour lui en parler. Lorsqu’il lui demanda pourquoi il avait dit aux journalistes qu’il ne croyait ni en Dieu ni en la divinité du Christ, Pasolini répondit de façon abstraite « Il y’a certaines questions que les journalistes ne devraient pas poser ». A la suite de cette rencontre Fantuzzi et Pasolini devinrent de grands amis. Le prêtre qui a donc bien connu le cinéaste affirme que pour sa part, il pense que Pasolini au fond de lui était croyant. Une sorte de chrétien refoulé. Cela pourrait expliquer la puissance de L’Evangile selon Saint Matthieu. Cela dit, si Pasolini était vraiment athée, cela renforce davantage sa performance artistique.

 

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Mais on peut aussi admettre que Pasolini n’avait au fond de lui pas de parti pris. Peut être comme beaucoup de gens n’était-il ni athée ni religieux, mais il se posait des questions.

Quoiqu’il en soit, Pasolini a réalisé une œuvre magistrale et un hommage vibrant et sincère au Christ. L’un des plus grands chefs d’œuvre de l’artiste tout simplement.                             

     

              

 

Note : 19,5/20

 

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Bonus : Repérages en Palestine pour « L’Evangile Selon Saint Matthieu » (51 minutes)

Je complèterais la chronique avec ce documentaire remarquable qu’est Repérages en Palestine pour « L’Evangile Selon Saint Matthieu ». Comme je l’ai précisé plus haut, à la base, Pasolini avait pour projet ambitieux de réaliser son film sur les lieux même où a vécu Jésus Christ. Cela l’amène donc en Palestine où il part en voyage aux côtés du père Don Andrea Carraro. Pasolini pensait qu’il pourrait trouver là-bas des vestiges de la Judée.

Cependant dés son arrivée sur place, il réalise que certains paysages n’ont déjà plus cet aspect. En effet, la colonisation israélienne a largement modernisé le pays, et des usines où bâtiments modernes ont été construit dans toute la région. Pasolini note même que les habitations, sont celles qu’on pourrait trouver en Italie.

 

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Il visite donc la Villa d’une famille israélienne avec lesquels il évoque la région. Par la suite, il rend également visite à des bédouins qui vivent toujours plus ou moins en marge de la société. Puis il rencontre aussi beaucoup d’arabes qui vivent généralement dans la pauvreté.

Par la suite, il visite plusieurs villes qu’il pensait exploiter pour son lieu de tournage. La première est Nazareth. Là encore le cinéaste découvre que la ville n’a plus aucune trace de son passé et s’est considérablement modernisé. Il la décrit comme « une métropole néo-capitaliste ».

Pour ce qui est de Jérusalem, la ville est donc partagée en deux entre Israël et la Jordanie. La partie israélienne est très moderne et donc « néo-capitaliste » pour Pasolini. La partie jordanienne est quant à elle resté assez traditionnelle et certains bâtiments semblent d’époque. Mais cela ne suffit pas pour ce que veut faire le cinéaste. Il découvre également l’extrême pauvreté qui règne dans cette partie de Jérusalem. Il se rend également dans une église avec le père Don Andrea Carraro.

 

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Il sera par la suite impressionné par la profondeur du désert dans le paysage, chose qu’il sait qu’il n’obtiendra pas en Italie.

Au final Pasolini comprend que son idée de départ était naïve et qu’elle est irréalisable. L’ancienne terre de Judée a beaucoup trop changé pour pouvoir retrouver son authenticité.

Il choisira finalement de tourner dans le sud de l’Italie.     

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Commentaires
T
Je trouve cela normal de s'intéresser à ce grand cinéaste. On aime ou on n'aime pas ses films, je trouve que Pasolini fait partie de la culture cinématographique et c'est normal d'essayer de temps en temps de découvrir ses films. <br /> <br /> Effectivement il faut que je me mette à lire ses poèmes !
A
entièrement d'accord avec toi, surtout que même 40 ans après sa mort, Pasolini reste vraiment un visionnaire
V
à Oliver et Tina: je pense que les gens devraient vraiment s'intéresser à Pasolini, surtout aujourd'hui. D'ailleurs plus que les films lisez ses écrits.
A
à tina: oui c'est vrai... En tout cas, je constate tout de même que le réalisateur t'intéresse
A
"les gens ne se battent pas trop pour regarder les films de Pasolini"<br /> <br /> C'est bien dommage...
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