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9 décembre 2014

Moby Dick

 

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Catégorie : Littérature

Genre : Roman

Année : 1851

Nombre de pages : 731

Nation : USA

Auteur : Herman Melville

Synopsis : Ishmaël n’est qu’un marin comme tant d’autres, qui a le goût du large et de l’aventure, et qui cherche à gagner son pain honnêtement. Il se rend au port de Nantucket où il rencontre Queequeg, un indien des îles, issu des tribus cannibales exotiques. Les deux hommes se lient d’amitié et décident de faire voile ensemble. En arpentant les quais, ils choisissent d’embarquer à bord du Pequod, un baleinier. Ils s’engagent alors dans un très long voyage en mer qui s’apprête à durer plusieurs années. Leur but ? Trouver et tuer le plus de baleines possibles pour en récolter leur huile et autres précieux bienfaits. Mais c’est un tout autre voyage qui semble les attendre. Les membres de l’équipage ne sont pas le commun des marins. Ils sont tous sous la coupe du mystérieux et terrifiant Capitaine Achab. Achab, un véritable fantôme déchirée par la douleur et appuyé sur une jambe en ivoire. Cette homme qui est détruit par sa quête sacrée de traquer et tuer la baleine blanche Moby Dick, qui lui a pris sa jambe il y’a bien des années. Le voyage du Pequod semble maudit avant son départ. Beaucoup n’en reviendront pas.     

Analyse critique :

(Attention SPOILERS)

Aujourd’hui je vise haut, car je choisis d’aborder un monument de la littérature, considéré comme l’un des plus grands chefs d’œuvres de l’écriture et qui est aussi un de mes livres préférés. Ce bouquin c’est Moby Dick d’Herman Melville écrit en 1851. J’essaie de ne manquer aucune édition ou réédition le concernant. D’un  autre côté, ce n’est pas un livre forcément facile à aborder. Car on ne sait pas trop par où le prendre. Pour commencer, il convient d’abord de présenter son auteur.

Herman Melville est né Herman Melvill (il ajoutera le e plus tard et sa famille l’imitera) en 1819.  Melville est un vrai aventurier. Fils d’un riche importateur qui fit faillite, il toucha à tous les métiers. Il travailla dans une fabrique de fourrure, fut employé à la New York State Bank, travailleur dans les champs, instituteur dans des campagnes. Dans le même temps, il se passionne pour la littérature. Mais le goût de l’aventure devient trop fort. Il s’engage comme mousse sur un navire marchand qui part de New York vers Liverpool. A son retour il part explorer l’Ouest américain en descendant le Mississipi.

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Mais Melville ressentit peut être le même appel du large que le personnage d’Ishmaël. Il se rendit au port de Nantucket, La Mecque de la chasse à la baleine. Il s’engagea alors sur un baleinier. Il passa deux ans en mer, à découvrir les îles du pacifique. Puis il déserta. Il se retrouvera cependant à nouveau sur un baleinier appelé le Lucy Ann qui fut victime d’une mutinerie à laquelle il participa. Il fut d’ailleurs arrêté et emprisonné à Tahiti. Il parvient cependant à s’échapper et à rejoindre Hawaii où il exerça la profession de marchand pendant un temps. Melville reprit la mer sur le navire de guerre américain USS United States. En 1844 il débarqua à Boston.

Après toutes ces aventures, Melville décide de se sédentariser sur le sol américain. Ayant toujours la passion de la littérature, il décide de se servir de sa propre vie tumultueuse pour écrire des livres. Il écrira plusieurs bouquins dont Moby Dick. Ce dernier reste le plus célèbre, trop même puisqu’on évoque presque uniquement lui lorsqu’on parle de l’auteur. C’est assez dommage car Melville a écrit d’autres chefs d’œuvres comme Redburn ou Typee.

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Mais concentrons-nous sur Moby Dick. Ce livre est donc bien évidemment influencé par la vie de Melville sur les baleiniers. L’auteur s’est donc inspiré de sa propre expérience, ce qui rend le tout très détaillé et par la même très crédible. Mais outre ses souvenirs personnels, Melville s’inspire de d’autres récits de baleiniers. Par exemple du livre d’Owen Chase paru en 1921, récit autobiographique d’un marin sur le naufrage de l’Essex, qui fut coulé par un très grand cachalot noir de 25 mètres. Après ce naufrage, les survivants durent se livrer au cannibalisme pour survivre. C’est dans la marine marchande que Melville rencontre le fils d’Owen Chase qui lui remit l’ouvrage relatant cette histoire. C’est de cet écrit dont l’auteur a tiré une bonne partie de son inspiration. Mais également de l’Essai de J.N Reynolds, intitulé Mocha Dick, ou la Baleine Blanche du Pacifique, qui sorti en 1838. Déjà dans le titre, on peut voir l’influence que ce livre a eu sur Melville, qui baptisa d’abord son roman Moby Dick ;Or, The Whale (Moby Dick ; ou, le cachalot). Le cachalot démoniaque Moby Dick est donc la réincarnation littéraire de Mocha Dick, un cachalot ayant réellement existé. En effet à l’époque, les plus grosses baleines et les plus coriaces (qui avaient déjà échappé aux harpons) se voyaient donner un nom. Mocha Dick avait la particularité d’être blanc comme neige (sans doute dû à de l’albinisme) et également couverts de harpons suite à des batailles avec les baleiniers. Cette dernière référence n’est pas cité par Melville qui a peut être pensé qu’on pourrait l’accuser de plagier quelque peu Reynolds, mais bon d’un côté, l’histoire de Mocha Dick appartient à tout le monde.

Mais surtout, avec Moby Dick, Melville ne veut pas faire un simple récit d’aventure mais bien une fable philosophique et symbolique. Il dédie d’ailleurs ce livre à Nathaniel Hawthorne, son ami et écrivain de talent qu’il admirait par-dessus tout. Il faut dire, que Hawthorne était admirable car il était l’un des auteurs les plus en vogue des années 1850 et son influence n’est pas négligeable.  

Moby Dick raconte donc l’histoire d’Ishmaël, un jeune marin en quête d’aventure qui va s’embarquer sur le Pequod, un baleinier dirigé par le terrible capitaine Achab. Ce dernier est obsédé par l’idée de tuer la baleine blanche Moby Dick qui lui a arraché une jambe, il y’a bien des années.

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Pour commencer son livre, Melville choisit d’abord de nous dresser une étymologie de la baleine puis de nous livrer un recueil d’environ 17 pages de citations sur les Léviathans. Citations émanant de grands noms tels que Jonas, Plutarque, Montaigne, Cook, Hawthorne et bien d’autres. Ces citations viennent aussi de d’autres livres ou rapports maritimes. Toutes font part de l’aspect impressionnant de la baleine. Une bonne introduction qui nous met déjà dans l’ambiance.  

Le récit commence alors. Il est narré par Ishmaël, le héros de l’œuvre. Ce dernier qui est marin, nous raconte ce que c’est que pour lui l’appel de la mer. Alors qu’il vit et travaille sur la terre ferme, au centre des terres, quand il a le cafard il choisit de reprendre la mer. Il déclare à ce propos « ça remplace pour moi le suicide ». Déjà cette introduction nous annonce le ton du livre. Assez cynique mais surtout très évocateur au niveau des sens. Melville raconte de façon détaillée cette sensation de reprendre le large vers un autre monde quelque part. On peut évidemment y voir de l’autobiographie quand on regarde la vie de l’auteur qui est redevenu marin après avoir longtemps arpenté la terre ferme.  

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On découvre alors le personnage d’Ishmaël. Mais aussi le monde marin sur la terre ferme, les quais, les tavernes des ports… A partir de ce moment on constate le côté quasi documentaire de Moby Dick, l’auteur s’attachant à détailler de façon méticuleuse les rites et habitudes du marin à terre, ainsi que l’ambiance et le mode de vie des ports maritimes. Ainsi on découvre que certaines villes côtières deviennent des lieux vouées à la marine. Les marins ont leur auberge de prédilection, leurs rues mais aussi leur chapelle.  Cette fameuse chapelle des baleiniers. Une sorte de lieux mystique où l’on monte sur la chaire à l’aide d’échelle en cordage comme sur les bateaux. Où partout se trouvent des gravures mortuaires en hommage aux équipages qui ont péri suite à des batailles avec des Léviathans. Melville s’attache donc à la description des lieux. C’est d’ailleurs dans cette chapelle que se trouve l’un de passages les plus importants du livre qui permet de comprendre les enjeux de l’auteur. C’est le passage où le père Mapple raconte l’histoire de Jonas et de la baleine. La baleine représente ici la colère de Dieu. Melville veut donc donner cette image du cétacé dès le début.

Mais ce départ d’aventure est surtout marqué par la rencontre entre Ishmaël et Queequeg, un indien cannibale originaire des îles du pacifique. Là encore c’est un sujet qui semble fasciner l’auteur, la culture des îles du pacifiques. Le cannibalisme et les têtes embaumées étaient des choses que Melville connaissait très bien, sa vie sur un Baleinier et ses escales sur les îles l’avaient amené à voir tout cela. Ainsi à travers le personnage de Queequeg il nous décrit aussi les mœurs et les rites des civilisations indigènes et cannibales du pacifique. C’est d’ailleurs à partir de la rencontre avec Queequeg que le célèbre côté blasphémateur de Moby Dick se déclenche. En effet, Ishmaël d’abord effrayé par son acolyte finit par le trouver sympathique et il se lie d’amitié avec ce païen. Il y’a d’ailleurs une phrase célèbre qui résume bien l’aspect blasphémateur lorsque Ishmaël doit pour la première fois partager sa couche avec Queequeg et qu’il déclare au lecteur « Mieux vaut dormir avec un cannibale sobre qu’avec un chrétien saoul ». L’amitié entre Queequeg et le narrateur évolue tout au long de cette première partie. L’auteur nous décrit entre temps le port de Nantucket qui était en quelque sorte la Mecque des baleiniers. C’est là qu’Ishmaël et Queequeg choisiront de s’embarquer à bord du Pequod. Là encore, c’est l’occasion pour Melville de décrire précisément les règles de la marine concernant l’embauche des marins baleiniers, leurs droits et devoirs ainsi que les règles liées à la propriété du navire.    

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Après environ 160 pages, le départ en mer arrive. C’est le moment pour l’auteur d’introduire des tas de nouveaux personnages plus folklores les uns que les autres et sur lesquels nous reviendront. Durant cette période, le livre traite du gros de l’histoire, la pêche aux baleines et la traque de Moby Dick qui est l’obsession d’Achab. L’auteur reste fidèle à lui-même, il nous narre l’histoire tout en proposant des séries de description. Il aborde alors les conditions de vie des voyages en mer qui sont difficiles et particulières. Les marins se retrouvent coupés du monde pendant des années. Ils semblent être dans une autre dimension, un océan gigantesque sur lequel ils ne représentent rien. Melville décrit aussi la nature de l’océan et sa faune. Il évoque bien évidemment les différentes races de baleines (on remarquera l’absence de certaines espèces pas connues à l’époque), il y représente le cachalot comme le plus puissant et le plus dangereux de tous les Léviathans. Melville traite également des « baleines tueuses » qui sont les épaulards. On a même droit à plusieurs lignes sur les fauves de la mer que sont les requins. Il décrit ces derniers comme de véritables machines à tuer assoiffées de sang. Le descriptif de la baleine va revenir souvent, Melville évoque plusieurs anatomies émanant de sources différentes et les juge pour ensuite les corriger éventuellement. Mais on a surtout droit à un véritable compte rendu très détaillé sur la chasse à la baleine. Autant dire que ça rigolait pas ! Melville développe en détail le métier de baleinier et les dangers qui en découlent. Lorsque tous ces types dans leur barque allaient à l’assaut de monstrueux et gigantesques Léviathans. L’auteur décrit cela comme pire qu’une bataille humaine. Certes on peut trouver ses propos exagérés mais il ne faut pas sous estimer ce que fut ce métier jadis. Autant dire qu’il en fallait une sacrée paire pour s’engager sur un baleinier. La chasse à la baleine est donc décrite dans toutes ses étapes et ses moindres détails. Melville nous explique également quelles parties sont conservées. On sait que les baleines étaient surtout chassées pour l’huile qu’elle procurait, mais d’autres parties sont précieuses et très convoitées comme « l’ambre gris ».      

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Vous l’aurez compris, Moby Dick est un témoignage authentique sur la vie en mer et sur la chasse à la baleine. Il y’est également question de certaines légendes maritimes de l’époque. La partie description est donc très présente et particulièrement intéressante (même fascinante). Elle est en constante parallèle avec la narration.

Narration qui je le rappelle est dictée par le personnage d’Ishmaël. Il est intéressant de noter qu’après le départ du Pequod en mer, Ishmaël ne semble plus qu’avoir le rôle de narrateur. Le personnage n’a plus aucune interaction avec les autres protagonistes du récit (pas même avec Queequeg), il reste quasiment étranger à l’intrigue qui se déroule et qu’il raconte. C’est seulement à la toute fin qu’il reprendra son rôle de personnage.

Cette partie narration est très réussie également. A travers le récit du personnage d’Ishmaël, c’est Melville lui-même qui nous parle. C’est un narrateur désillusionné et parfois cynique. Melville n’hésite pas à laisser exprimer les émotions de son personnage (et donc de lui-même) sur les faits qui se déroulent. Outre un aspect réaliste (dû notamment une fois encore à la partie description) l’histoire prend également une dimension mystique. On se souvient notamment de cette étrange « jet fantôme » blanc que les marins du Pequod aperçoivent seulement la nuit et assez régulièrement, la légende qui gravite autour de Moby Dick, les oiseaux qui la suivent, la tempête et le feu Saint-Elme… Tous ces éléments qui se réfèrent à un ton quasi fantastique renforcent également l’aspect symbolique du bouquin. Mais Moby Dick est un livre également métaphysique et initiatique qui nous entraîne au plus profond de l’âme humaine. On est ici dans le parfait exemple du périple métaphorique où le voyage physique représente le voyage psychologique. Ce périple qu’on effectue au fond de soi, en même temps qu’Ishmaël.

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Moby Dick est donc un livre remarquablement bien écrit, qui captive et parvient à nous faire rentrer dans son récit à tel point qu’à travers chaque ligne, on pourrait presque sentir l’air marin dans ses narines. C’est pourquoi j’insiste sur le côté métaphysique.      

L’évolution du récit est également bien amenée, réellement fascinante et prenante. L’auteur alterne sans cesse entre les parties description et l’avancement de l’intrigue. Le tout suivant une logique très travaillée. C’est cependant sur ce dernier point que je fais mon petit reproche au livre. Je trouve en effet que Melville a parfois mal géré la façon d’alterner la partie intrigue et la partie description. Alors qu’au début il semble aller plus ou moins sur un chapitre de chaque, on se retrouve parfois avec cinq longs chapitres de descriptions. Cela coupe trop le rythme et parfois on a un peu du mal à retrouver ses repères lors du retour à l’intrigue. Cependant comme je l’ai dit plus haut, le tout suit aussi un cheminement logique que l’auteur ne veut pas perturber mais le rythme n’est parfois pas toujours bien géré à mon sens. C’est d’ailleurs le seul reproche que je fais au livre pour être honnête. Reproche que j’adresse cependant à la traduction. Car en effet je pense surtout à la version la plus connue qui est celle de Jean Gionno. Mais en ce qui concerne cette partie description, la superbe version d’Armel Guerne est peut être mieux foutue. C’est pourquoi je ne peux au final pas juger à 100% le travail de Melville. 

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Mais parlons maintenant du sens de l’histoire en commençant par les personnages.  

Le premier c’est celui d’Ishmaël, notre héros et narrateur de l’histoire. Tout d’abord la symbolique se trouve déjà dans son nom. Ishmaël est le nom du premier fils d’Abraham. Dans la bible il est dit qu’il sera contre tous. On peut retrouver cet aspect à la fin de l’histoire dans le sens où il reste le seul survivant. Ishmaël est un homme solitaire qui cherche à fuir les sociétés humaines pour une vie éloignée en haute mer. C’est un personnage au final désillusionné et parfois cynique sur la vie. Il est donc le narrateur de l’histoire et celui qui nous guide. Cependant le personnage finit par prendre simplement l’allure de témoin au cours de l’avancement du récit.

Le second protagoniste rencontré est celui de Queequeg. Le cannibale mystique avec ses statuettes et ces têtes rétrécies qui est aussi l’un des harponneurs du Pequod. A travers ce personnage, Melville donne une autre image des populations du pacifique en les montrant non pas comme des sauvages mais au final comme des hommes en tant que tel, avec leur moralité et leur violence.  

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Mais le personnage le plus mythique de Moby Dick c’est bien sur le capitaine Achab ! C’est un homme tyrannique et terrible qui est au final vénéré comme un dieu par ses hommes. Mais au delà du personnage mystique, fou et terrifiant, on découvre un homme déchiré par la douleur physique et morale. Tout dans le corps d’Achab évoque cette douleur extrême. Grand, maigre, chauve, couvert de cicatrices, notamment sur le visage, et appuyé sur une jambe d’ivoire qui remplace le membre qui lui a été arraché par la baleine blanche. Achab ne semble même plus avoir une âme humaine, il a été détruit par la folie. Là encore son nom n’est pas choisi au hasard et a bel et bien une portée symbolique. II fait d’ailleurs l’objet d’un débat dans le livre, car Achab était le roi d’Israël, un roi cruel et qualifié d’impie par la bible. On retrouve chez le capitaine du Pequod la cruauté et la tyrannie de son homonyme, mais également son côté blasphémateur. Chasser Moby Dick est un « blasphème » comme le lui rappelle justement son second Starbuck. Achab blasphème en pourchassant ainsi un animal qui n’est censé n’avoir ni esprit ni pensées. Mais comme on l’a vu plus haut, à travers Moby Dick, on retrouve la baleine de Jonas et la représentation de Dieu. Et c’est surtout en cela qu’Achab blasphème. Son personnage est le cœur et la clé de l’histoire. Ses hommes vont clairement finir par le placer au dessus de Dieu, craignant moins le châtiment divin que leur capitaine. Et c’est ce qui est fascinant chez Achab, c’est la puissance qu’il dégage et cela même sur le lecteur. Il apparaît comme un homme qui est revenu de trop loin et qui a tout connu, une sorte de mort vivant qui sait tout de la vie et de ce qu’il y’a après. Achab a une dimension mystique et prophétique. Il finira par succomber de sa propre passion et de son arrogance. Il  a voulu défier la loi divine et il l’a payé. Achab est un peu un Icare qui s’est brûlé les ailes.

Nous avons évoqué le personnage du second, Starbuck. Ce dernier est également très intéressant. C’est un homme de foi qui représente en quelque sorte la conscience d’Achab. Tout au long de l’histoire, Starbuck le courageux (pour qui le courage n’est pas un sentiment selon Ishmaël, mais une denrée qui ne doit pas être gaspillée bêtement) va chercher à sauver l’équipage du Pequod de la folie d’Achab. Il est donc en constante dualité avec son supérieur. Mais Starbuck finira lui aussi par s’incliner face au capitaine du Pequod et le suivre comme les autres disciples de ce capitaine maudit.

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Nous avons aussi le personnage de Pip qui est fascinant. Le petit mousse noir qui finit par sombrer dans la folie la plus pure (et même une forme de schizophrénie). Son personnage est donc la représentation la plus parlante du voyage intérieur. Il est aussi l’écho d’une malédiction qui semble frapper cette équipage damné et blasphémateur. 

On citera aussi les autres. Stubb le second dotée d’une sacrée personnalité et d’un naturel fanfaron, joyeux et insouciant. Flask le troisième second avec Starbuck et Stubb, qui semble avoir une haine farouche envers les Léviathans. Nous avons également Tashtego et Dagoo, tous deux harponneurs et donc frères d’armes de Queequeg. Le premier est un indien guerrier et le second un colossal noir fier et barbare.

On pourrait aussi évoquer le prophète Elijah référence là encore à Elie de la Bible. Ce dernier décrit la nature d’Achab et prophétise la fin du Pequod. Puis nous avons l’énigmatique Fedallah, un harponneur sombre qui a été spécialement engagé par Achab avec ses hommes qui sont des indigènes originaires de Manille. Ce personnage est le plus mystérieux du livre, il apparaît tel un fantôme dans l’ombre d’Achab, un spectre dont on ignore les origines. Il ne semble entretenir aucun rapport avec le reste de l’équipage. Son ethnie semble également difficile à définir.              

Moby Dick voit donc intervenir une multitude de personnages. Mais parlons maintenant de celui qui donne son nom à ce bouquin. Moby Dick : le cachalot gigantesque et blanc comme neige. Ce Léviathan solitaire qui ne se mêle pas aux autres baleines et qui porte sur son dos des tas d’harpons tordus et brisés qui témoignent de son invincibilité et du nombre de batailles gagnées contre les baleiniers. Moby Dick, à l’instar des autres personnages a un aspect mystique. Une fois encore, elle est la Baleine de Jonas représentant la colère de Dieu. D’où con caractère invincible. Il y’a également un chapitre que j’adore qui s’intitule « La Blancheur de la Baleine » (ou « La Blancheur du Cachalot » dans la version de Guerne) et qui revient sur cet aspect plus important qu’il n’y paraît. Certes, cette blancheur découle en premier lieu de la vraie histoire de Mocha Dick, mais Melville s’en sert comme inspiration pour philosopher. L’auteur revient sur le symbole de la couleur blanche de la société, souvent associée à la lumière, à la grâce, à la beauté, au bien, à la distinction, à la gloire, à l’espoir et à la paix. Aujourd’hui encore le blanc est la couleur dominante dans hôpitaux car elle est censée rassurer les patients. Mais cette couleur prend des aspects dérangeants et terrifiant quand elle est associée au contraire de ce qu’elle est censé représenter. « C’est la blancheur de la Baleine qui m’épouvantait » déclare Ishmaël. Cette blancheur, malgré tout ce qu’elle représente pour les humains, est ici liée à la puissance dévastatrice, à un véritable monstre des abysses qui terrorise les océans et qui paraît impénétrable et diabolique. La couleur de l’espoir est donc associée à la mort et à la destruction. Moby Dick est comme une montagne blanche de neige : puissante, dangereuse et meurtrière. Mais ce qui gêne également aussi avec le blanc comme le signale Melville c’est qu’au final le blanc n’est pas tant une couleur qu’une absence de couleur, ce qui rend au final l’être plus hideux. Mais ce blanc évoque aussi quelque chose de différent, d’impénétrable. Cette blancheur pas naturelle confère à Moby Dick son aspect divin et mystique. La Baleine blanche semble bel et bien être la représentation vivante du tout puissant.

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Melville signe donc une fable fascinante. Mais une fois encore, quel sens lui donner ? Plusieurs en réalité. Comme je l’ai déjà dit, Moby Dick est entre autres une œuvre métaphorique sur le voyage initiatique. A ce sujet j’ai envie de citer tout simplement (et peut être facilement diront certains) le passage du livre qui est utilisé comme résumé au dos de la couverture des éditions de la version Giono et qui me paraît être très évocateur : « Considérez le cannibalisme universel de la mer, dont toutes les créatures s’entre-dévorent, se faisant une guerre éternelle depuis que le monde a commencé. Considérez tout ceci, puis tournez vos regards vers cette verte, douce et très solide terre ; ne trouvez vous pas une étrange analogie avec quelque chose de vous-même ? Car, de même que cet océan effrayant entoure la terre verdoyante, ainsi dans l’âme de l‘homme se trouve une Tahiti pleine de paix et de joie, mais cernée de toutes parts par toutes les horreurs à demi connues de la vie. Ne poussez pas au large de cette île, vous n’y pourriez jamais retourner. ». Je pense que ce paragraphe se suffit à lui-même. Il représente très bien le voyage physique comme étant la matérialisation du voyage intérieur.  

Mais Moby Dick, c’est surtout un récit qui fut jugé blasphématoire car il parle d’un homme Achab qui s’acharne à vouloir détruire Dieu (Moby Dick). J’ai déjà évoqué plusieurs fois le lien entre Moby Dick et la baleine de Jonas. Je citerai là encore un extrait d’une discussion, qu’avait noté Jean Giono, entre Melville et Hawthorne. Melville préparait alors le bouquin et en parlait à son ami :

« Cette chose irréalisable, cette chose irréalisable et qui barre la vie.

-De laquelle voulez-vous donc parler ? dit Hawthorne

-Ai-je dit que je voulais parler d’autre chose que de cette baleine blanche ?

-En effet non, dit Hawthorne, mais chaque fois il y’a dans vos mots une sonorité intérieure. Vous semblez occupé d’une passion  personnelle. 

-Non, dit Herman au bout d’un moment. Mettons au contraire que je m’occupe d’une sorte de passion générale. N’aurions-nous à combattre, dit-il en souriant, que l’opposition des dieux, par exemple, Qu’en pensez-vous, Hawthorne ? N’est-ce pas : imaginez quelqu’un qui, finalement prendrait l’épée ou le harpon pour commencer un combat contre Dieu même !

-Il faudrait ne pas croire

-En qui ?

-En Dieu

-Au contraire, car alors, où serait le mérite ?

-Ou la folie

-Ou la folie si vous voulez. Non, je pense à quelqu’un au contraire qui verrait Dieu aussi clairement comme on dit que le nez au milieu de la figure, aussi clairement que la baleine blanche au dessus des eaux et qui, justement, le voyant en toute sa gloire, le connaissant en tous ses mystères, sachant jusqu’où peuvent aller les délires de sa force, mais n’oubliant pas-jamais- les blessures dont ce dieu le déchire, se précipiterait quand même sur lui et lancerait le harpon.

-Je crois que vous écrivez un beau livre, dit Hawthorne, après un silence… »

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Ce passage résume donc l’idée de Melville, idée jugée blasphématoire mais qui n’est qu’au final un récit sur la révolte de l’homme contre sa condition. Un homme qui finit par vouloir abattre Dieu pour les souffrances qu’il lui inflige. Moby Dick est donc un cri qui vient du fond du cœur.

Mais c’est aussi en second plan comme de l’ai déjà dit, une description très détaillée de la chasse à la baleine qui souligne le danger du métier et le courage des baleiniers (chose impensable dans notre monde actuel de plus en plus porté sur l’écologie).

Mais cette œuvre est tellement riche en symboliques, qu’il est dans le fond assez vain de vouloir l’analyser dans son intégralité. Chacun peut trouver quelque chose à travers Moby Dick. C’est une œuvre trop riche et trop complexe à mon avis pour la saisir totalement.

En France il existe plusieurs traductions, la plus célèbre et répandue reste celle de Jean Giono, mais la version proposée par le poète Armel Guerne est également fascinante. Elle est sans doute moins fidèle au ton « Melvillien » que celle de Giono, mais la beauté de son écriture et la poésie qui en découle sont fascinantes. 

A sa sortie en 1851, Moby Dick fut totalement ignoré par la critique. Cependant lors des premières semaines d’exploitation, il se vendit très bien. Mais cette ruée vers Moby Dick sera de courte durée et il retombera vite dans l’oubli. Pour sa part, Melville l’a toujours considéré comme son chef d’œuvre. Ce n’est que beaucoup d’années plus tard que le livre sera revu à sa juste valeur et sera encensé comme un monument de la littérature. Le public de l’époque n’était sans doute pas prêt pour accueillir le chef d’œuvre de Melville.

Aujourd’hui on ne présente plus Moby Dick. Ce bouquin figure au panthéon des plus grands monuments de la littérature. Il influencera énormément d’auteurs. Il donnera même lieu à plusieurs adaptations au cinéma ou à la télévision. Le mythe de Moby Dick sera repris également dans la musique. Un opéra sera crée à son effigie par Jake Heggie. Bernard Hermann en fera une cantate. Le célèbre groupe de Rock Led Zeppelin lui dédiera une instrumentale. Le groupe de Metal Mastodon lui consacrera la majeure partie de son album Léviathan. L’Artiste de musique électronique Moby utilise même la première partie du nom de la baleine blanche pour revendiquer son lien de parenté avec Herman Melville.

Moby Dick est clairement un œuvre incroyable. Pour moi le livre presque parfait qui mêle aventure, description authentique et réflexion philosophique. Le genre de bouquin que tout le monde devrait avoir lu et tout simplement un sommet de la littérature.   

        

Note : 20/20

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Commentaires
V
à Hdef: j'ai pensé chroniquer les Tintin d'ailleurs, mais je ne sais pas si je le ferais, ou alors je mettrai d'autres cycles en parallèles pour éviter de rester plusieurs mois sur l même sujet.
V
à Hdef: Oui mais y'a un bail pour tout t'avouer. Mais ça pourrait être une bonne idée de chronique.
H
Oui, un très beau roman sur le poisson le plus célèbre de la littérature en effet.<br /> <br /> Quoique je ne l'aie pas lu depuis un certain temps, je me souviens de grands sommets d'aventure lors de la lutte finale avec le capitaine Achab. <br /> <br /> Personnellement, après, ce n'est pas l'un de mes romans préférés mais effectivement un classique. Je n'ai par contre rien lu d'autre de Melville. Toi, oui ?<br /> <br /> Après tout pourquoi pas découvrir cet auteur, même si ça n'a rien à voir avec ce que je fais en ce moment :)<br /> <br /> <br /> <br /> See you soon.
T
Jamais lu ce bouquin, principalement à cause de sa longueur, même si j'aimerais bien le lire un de ces jours.
A
en effet, un grand classique du genre: j'espère que tu chroniqueras les films sur ce blog
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